La chute fut discrète mais très cinématique. La jeune femme se mit à courir lorsqu'elle comprit qu'avec un effort, elle pourrait y entrer, dans son maudit métro. Apparemment, son malheur fut de partir du mauvais pied. Là, comme au ralenti, elle se reçut sur le genou, les mains amortissant le choc et l'empêchant de tomber de tout son long. Une belle chute gracieuse qui m'a évoqué certaines scènes où le héros est presque terrassé mais qu'il va se ressaisir et repartir combattre de plus belle. J'ai entendu la musique de fond, c'est vous dire.
Pendant que les portes se fermaient, j'ouvris celle de la loge et proposai le strapontin. Elle se confondait en excuses en frottant son genou meurtri pendant que de mon côté je l'assurais de ma faute, que je n'avais pas à regarder les gens, ce qui leur faisait espérer un geste. Et que non, je n'ai pas à être toujours si pressée, que tout le monde court et que je fais pareil mais c'est qu'il faut courir, chaque minute compte quand après une journée de travail il faut encore aller chercher les enfants, faire quelques courses. Et que oui mais tout de même, et que non, c'est ma faute. Il m'aura fallu lui faire les gros yeux et la gronder pour que cet échange surréaliste cesse.
La chute étant devenue comme un lien, il fut facile ensuite de discuter de tout et de rien jusqu'à la station de destination. Une conversation intéressante, un vrai échange faits de questions, de réponses, d'indignations et de sourires sur ce que vivent les femmes en général et sur le monde du travail en particulier.
En descendant, après les remerciements d'usage, elle me dira, de l'air réjouit d'un enfant qui n'en revient pas d'une telle aubaine : "Je n'ai plus mal au genou"