Celui qui n’a pas de cimetière à regarder, selon l’expression d’Adrienne devant les portraits de la famille des Mesurat et alliés / Celle qui enlève la poussière du salon de la Villa Louis avec tant de concentration qu’elle ne s’aperçoit pas qu’elle continue de passer sa patte humide sur les automobiles de la rue et sur les statues du square / Ceux qui ne savent plus le prénom de celles qu’ils ont réglementairement épousées ils ne se rappellent plus quand ni où / Celui qui ne donne guère prise à aucune appréciation qualitative si ce n’est qu’il sent le rance / Celle dont le visage paraît gommé sans soin / Ceux qui partent le matin sans savoir s’ils ont réellement comblé celles qui les ont plus ou moins payés pour ça / Celui qui mange du pain en pensant que ça ne mange pas de pain sans savoir ce que signifie exactement cette expression d’époque / Celle qui prétend qu’elle assure sans connaître les implications réelles de cette expression d’époque / Ceux qui se prétendent de leur temps en collectionnant les objets vintage / Ceux qui ne sauraient pas situer la Régence par rapport à la Réforme ou à la Récidive / Celle qui n’ose pas le regarder aux yeux quand l’Abbé Spogliato lui met le doigt au menton et lui scrute la Conscience / Ceux qui admettent que le mobilier Art Nouveau de leur intérieur fait vieux jeu dans l’immeuble réhabilité du Square du Roule / Celui qui rampe devant le commissaire homophile mais albanophobe / Celle qui décide qu’on mettra dans le salon des rideaux grenats à chardons violets sans laisser à son récent époux le temps de réagir vu qu’elle lui laisse la haute main sur la partie mécanique / Ceux qui ne feront plus émonder les tilleuls de la propriété pour faire chier les voisins / Celui qui aime le brouillard et s’y fondre en fumant des clous de cercueil / Celle qui met du rouge à lèvres couleur lèvres / Ceux qui ne s’expriment plus qu’au moyen de phrases courtes du genre « Où vas-tu ? » - « Changer l’eau des fleurs », etc.
Image: Philip Seelen