Facteur Cheval

Publié le 10 octobre 2009 par Cassandre
"Fils de paysan je veux vivre et mourir
pour prouver que dans ma catégorie
il y a aussi des hommes de génie
et d'énergie. Vingt-neuf ans je suis resté
facteur rural. Le travail fait ma gloire
et l'honneur mon seul bonheur ;
à présent voici mon étrange histoire.
Où le songe est devenu,
quarante ans après, une réalité."

— Ferdinand Cheval, 15 mars 1905.

Le Palais Idéal du Facteur Cheval possède une histoire particulière et qui démontre bien que les rêves peuvent être réalisés, pour peu qu'on s'en donne les moyens. Certes, sa vie ne fut pas un long fleuve tranquille, mais sans qu'il s'en douta à l'époque, il suscita controverse et admiration. Tout ceci  pour un simple facteur... et loin de moi l'idée de faire l'amalgame avec un certain collègue de Neuilly. Ils n'ont pas, et de loin, le même talent. Laissons donc l'histoire contemporaine pour se pencher sur ce qui se passa, il y a plus d'un siècle, dans une petite commune Hauterives, dans la Drôme.

Né en 1836 dans la petite commune de Charmes sur l'Herbasse, il devint à 13 ans et après l'obtention de son certificat d'études primaires, apprenti boulanger. Métier qu'il garda quelques années. Le 12 juillet 1867, il est officiellement nommé "facteur aux postes". En 1869, il est affecté à Hauterives où il restera jusqu'à sa mort.
Il est en charge de la "tournée de Tersanne", qui fait 33 kilomètres à parcourir à pied, tous les jours, sauf le dimanche.
Il occupe ses heures de randonnée à songer à un palais féerique, rêveries qui mettront une dizaine d'années à voir le jour.

Selon les souvenirs rapportés par Ferdinand, durant l'une de ses tournées, il buta sur une pierre, qui manqua de le faire tomber. Attiré par la forme de celle-ci, il la glisse dans sa besace en pensant la regarder plus en détail plus tard.
Le lendemain, en passant au même endroit, il note qu'il y a là d'autres pierres dignes d'intérêt. Il se dit alors que puisque la nature pouvait "sculpter", pourquoi pas lui ? Il pourrait ainsi donner forme concrète à son "Palais Idéal".

Durant les 33 années qui suivirent, il ne cesse de ramasser (besace, panier ou brouette selon les fois) des pierres, qu'il taille ensuite à la lumière d'une lampe à pétrole, la nuit, puisque le jour il travaille.
Les gens du cru le considèrent comme un excentrique. On n'aime pas ce qu'on ne comprend pas, n'est-ce pas ?

Il a acheté un morceau de terrain sur lequel il a commencer à donner vie à son rêve. 20 ans furent nécessaires pour la construction de la façade Est qu'il nommera "Temple de la Nature", le nom "Palais idéal" ne venant que de sa rencontre en 1904 avec le barde alpin Émile Roux Parassac qui lui dédia un poème "Ton idéal, Ton Palais".
Et de là, part l'évolution de façon intuitive du reste de l'édifice, partie par partie, qui va de grottes en alcôve, terrasses et petits passages, jusqu'à la symétrie majestueuse que cette façade impose.

Il commença tout d'abord par creuser un bassin et à former autour une cascade : la Source de Vie (1879-1881). Poursuivant vers le nord, prenant de la hauteur, il construisit une seconde cascade, la Source de la Sagesse (1881-1884). Puis vient ce grand temple à la façade symétrique et aux colonnes boursouflées, le Monument égyptien (1884-1891) qui deviendra le Temple de la Nature. À partir de 1891, comme voulant établir une symétrie de taille avec la partie Nord, Cheval s'attaque au Sud, avec l'édification du Temple Hindou (1891-1895), à la faune et à la flore exotiques, et qui finira gardé par les trois impressionnants Géants (1895-1899) (représentant César, Vercingétorix et Archimède).


"La grotte où il y a 3 géants c'est un peu de l'égyptien, en dessous on voit 2 momies que j'ai façonnées et sculptées. Ces 3 géants supportent la Tour de Barbarie où dans un oasis croissent les figuiers, les cactus, des palmiers, des aloès, des oliviers gardés par la loutre et le guépard. À la source de la vie j'ai puisé mon génie"

— Ferdinand Cheval, 1911


La façade Ouest quant à elle est ornée d'architectures miniatures du monde entier placées dans des alcôves : une Mosquée, un Temple Hindou, un chalet suisse, la Maison Carrée d'Alger, un château du Moyen Âge. On accède également par là à une galerie de vingt mètres de long, s'enfonçant dans le Palais et agrémentée de sculptures. Au-dessus se trouve une grande terrasse de 23 mètres de long (quasiment la totalité de la longueur du Palais) à laquelle on accède grâce à des escaliers.

La façade Nord représente le
côté du Temple de la Nature, des grottes et toutes sortes d'animaux (cerf, pélicans, crocodile...). Le sud, assez dépouillé, est un hommage de Ferdinand Cheval aux temps anciens, à travers un musée antédiluvien. C'est aussi un accès dégagé de la terrasse, avec escalier et balcon.

Le Palais est aussi bien un hymne à la Nature qu'un mélange très personnel de différents styles architecturaux, avec des inspirations puisées tant dans la Bible que dans la mythologie hindoue et égyptienne. Il ne faut pas oublier que Cheval fut facteur, à une époque où se développaient les voyages et la carte postale (apparue en France en 1873, cinq ans avant le début du Palais Idéal).

Les pierres sont assemblées avec de la chaux, du mortier et du ciment. Il lui en aura coûté 4 000 sacs de chaux et de ciment. Le Monument représente 1 000 mètres cubes de maçonnerie soit 6 000 francs de l'époque.

Après l'achèvement du Palais idéal, il manifeste son désir d'être plus tard enseveli dans l'enceinte même de son œuvre, ce que la loi française ne permet pas lorsque le corps n'est pas incinéré. L'usage de la crémation n'étant à l'époque pas du tout entré dans les mœurs en France, Ferdinand Cheval se résout alors à se conformer aux contraintes légales en se faisant inhumer, le moment venu, dans le cimetière communal, mais en choisissant lui-même la forme de son tombeau.

C'est ainsi qu'à partir de 1914, il passe huit années supplémentaires à charrier des pierres jusqu'au cimetière d'Hauterives et à les assembler, pour former le Tombeau du silence et du repos sans fin, achevé en 1922.

Il y est inhumé après son décès, survenu en 1924.

La portée de son oeuvre est importante. Classé monument historique en 1969 par André Malraux qui le considère comme le seul exemple en architecture de l'art Naïf.

Plus tôt, dans les années 30, il reçut le soutien moral d'artistes tels que Picasso et André Breton, et à travers ce dernier, l'admiration des surréalistes.

Le tombeau quant à lui fut inscrit au registre des monuments historiques en 1975.

Il inspira et inspire sûrement encore aujourd'hui, de nombreux artistes, ainsi Niki de Saint-Phalle avec son "Jardin des Tarots".

En conclusion, je ne vous engagerais jamais assez, si vous passez dans la Drôme, à y faire une petite halte. Oubliez vos préjugés, oubliez ce que vous connaissez ou croyez connaître de l'art, oubliez aussi l'orthographe, ce n'est pas là, l'important. Il faut se laisser imprégner par l'endroit, sa magie, son génie. On aime ou on déteste... c'est sûr. Mais voilà bien un endroit qui ne peut laisser indifférent.