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Des cailloux – partie 06

Publié le 13 octobre 2009 par Eleken

La lumière aussi diffuse fut-elle était de la lumière. Asling s’égratignait les doigts à s’accrocher à la paroi pour progresser sans trébucher. Le temps était infini dans les boyaux de la terre, et chaque pas lui pesait une éternité.

Il avait mal, mais ce n’était pas la douleur de ses mains qui attisait ses larmes, c’était la douleur de son cœur qui le martelait de son ignominie. Il était un lâche, un couard, un perdant. Il avait tout ce qu’un homme pouvait vouloir. Une femme, un fils, une vie des amis. Pourtant il était là, seul dans ce tombeau, avançant vers une fin nécessairement funeste. Une seconde, puis une multitude, le temps est un compagnon capricieux. La vie d’un homme se constelle d’erreur. La vie est une compagne cruelle si l’on ne sait pas prendre soin d’elle.  Une compagne cruelle seulement si on refuse ses cadeaux. Pourquoi l’irlandais avait-il refusé ? Il était trop tard pour continuer à se faire des reproches. Peu à peu, la luminosité augmentait, tremblante et terrible, annonciatrice d’un dénouement crucial, peu à peu ses pas le poussaient.  Peu à peu, le colosse commença à distinguer les parois sur lequel il prenait appuis. Il distingua les niches obscures qui ne dévoileraient pas leur contenu pour si peu de clarté. Il ne souhaitait pas savoir ce qu’elle contenait. Il aurait pu s’arrêta là, mais il ne voulait pas retourner dans l’obscurité. Un besoin impérieux et ancien qui pousse l’être vers la lumière plutôt que son contraire. Seules les choses de la nuit recherchent les ténèbres. Ici se tapis une chose de la nuit. Alors Asling à peur, il pense à son père, à sa mère, à sa femme. S’il pouvait remonter le cour du temps, quitte à sacrifié le reste de son âme il le ferait sans hésiter.

Un carré de lumière se dessina finalement devant lui, une ouverture percée dans la roche. Les murs sur lesquels il s’appuyait étaient eux-mêmes sculpté dans la roche. Il y avait ça et là des traces anciennes d’outils. La niche éclairée qui s’ouvrait sur la droite semblait vaste et bien plus ancienne encore que ces tunnels. Un son s’éleva de la cavité, un feulement, un chuchotement bas et presque inaudible. Une odeur d’œuf pourrie monta au visage d’Asling. Il ne recula cependant pas, il devait voir ce qui se trouvait dans la chambre. Sa respiration était si rapide qu’il manqué de s’étouffer à chaque seconde mais il devait regarder. Alors il s’accrocha à l’ouverture et se pencha en avant.

L’irlandais fut aveuglé par la lueur de la bougie après tout ce temps dans l’obscurité. Mais quand il pu à nouveau voir, il souhaita ne jamais les avoir ouverts. Asling fut tétanisé par la peur.  Des monceaux de cadavres s’amoncelé dans tout les coins de la chambre, qui était en soit une vaste salle souterraine décorée de peintures ocres et effacées. Asling n’en voyait pas le terme. Il y avait là des corps vieux de centaines d’années à en juger par leurs vêtements, d’autre plus récent. Certains ne devaient pas avoir plus de quelques années. Il n’avait jamais rien vu de si effroyable. Au milieu de ces monceaux d’os, une forme s’activait sur un cadavre encore jeune. Bien que déjà extrêmement putréfié, il en restait suffisamment de chair pour distinguer le corps d’une femme. Un hurlement animal s’en éleva alors, les genoux d’Asling fléchir quand le sang reflua de ses membres.

La forme androgyne se déplia plus qu’elle ne se leva de derrière le cadavre. Asling sut qu’il était face au Diable, Dieu ne lui serait d’aucune aide ici. La forme plongea son regard dément dans les yeux paniqué du grand irlandais. Puis elle se pencha… Et souffla la bougie palpitante. Après un ultime éclair orange, les ténèbres se jetèrent sur Asling qui ne put retenir un hurlement  quand des mains le saisirent au cou.

***

Lornbeck, de retour à la morgue accompagné du lieutenant Alpeed, salua à nouveau Carl Waslerd.

« Et bien inspecteur, deux fois dans la même journée, les gens vont jaser sur notre nouvelle intimité. » lança avec humour le légiste. Lornbeck se contenta de sourire et s’enquit immédiatement de l’affaire.

« Qu’avons-nous Carl ? Avez-vous de bonnes nouvelles à me donner ? » Demanda un Lornbeck livide et visiblement épuisé par cette énième course de fiacre.

« Ah, là mon ami je pense que vous m’en demandé peut-être un peu trop, mais soit. Je ne vais pas vous faire mijoter, il n’y a pas un seul indice à noter sur ce nouveau cadavre. La seule chose intéressante et la conviction que j’ai acquise en comparant les deux femmes. Le modus operandi et absolument le même pour les deux crimes. Même acharnement sur le cou, même pression démesuré indiquant la fureur ou une profonde rancœur. Le larynx des deux femmes est écrasé, cela arrive souvent lors d’une strangulation. Un détail que je ne vous avais pas précisé tout à l’heure car peu important sur le fait, néanmoins avec deux cadavres il me donne à penser, et bien… C’est le même tueur que celui de l’autre femme, il n’y a pour moi aucun doute. Je peux me tromper, mais j’ai déjà vu beaucoup de mort et tout en se ressemblant, ici elles présentent des similitudes extrêmement importantes. »

Lornbeck accusa le coup avec circonspection. Cela ne collait pas avec toutes ses conclusions précédentes. Le libraire n’était pas le meurtrier de la première femme ? Mais alors, pourquoi la strangulation du libraire avait tant manqué de conviction. Etait-il coupable des précédents crimes ou bien le tueur inconnu était-il aussi le meurtrier de sa femme. Le libraire n’était qu’un pion, cela rejoignait ses pensées du matin dans la maison. Quel était le rôle du libraire ? Etait-il un homme de main ? Avait-il un complice qui tuait les femmes pour lui. Pourtant il y avait les traces de griffures sur le visage du libraire. La femme s’était débattue, elle ne voulait pas mourir. Il fallait que le libraire fût le tueur. Une idée abominable mais aussi très naïve par son manque de consistance naquit dans l’esprit du gros bonhomme. Et s’il y avait un maître et un élève. L’un assistant l’autre. Pourtant, aux yeux de Lornbeck, le libraire n’était pas un maitre, seulement le pion d’un autre. Le libraire était-il l’élève ? Avait-il déçu son maître ? Le rapport n’indiquait aucun ami, pas de va-et-vient surprenant dans la maison, personne ne semblait visiter l’homme… Lornbeck se nota mentalement d’aller interroger le curé de son église. Peut-être y trouverait-il un élément intéressant, il en doutait. Il avait mal, son estomac le tourmentait depuis de longues minutes. Il filait peut-être après un assassin plus important que celui qu’il avait cru en premier lieu. Le tueur inconnu était peut-être le tueur de sa femme.

« Inspecteur, vous êtes toujours avec nous ? » demanda le légiste devant le regard voilé de Lornbeck.

« Oui, oui désolé, je songeais aux implications, autre chose ?
- absolument rien, au mieux je peux vous dire que cette femme était pauvre, elle avait des escarres nombreux et mal soignés, une odeur de poisson sur tout le corps, mais pour cela je pense que notre ami Fergus ici présent nous apportera le complément nécessaire. »

Alpeed qui entendit son prénom sortit de ses propres pensées et expliqua à Lornbeck ce qu’il lui avait déjà dit dans le fiacre les ayant amenés ici. La femme avait était trouvé prêt du pont de Waterloo. Elle avait était identifié par des clients, elle vendait du poisson sur le marcher de Lambeth. A priori elle se prostituait à l’occasion mais cette information n’avait pas pu être confirmée. Et s’éloigné du style assez aisée de la première victime, ce qui signifié que le tueur n’affectait pas le rang social. A priori, seule leur corpulence et leur âge ainsi que la manière dont elles avaient tuée les liait.

Lornbeck fronça les sourcils et baissa la tête pour réfléchir. Alpeed ne put s’empêcher de remarquer combien l’inspecteur était pâle et la sueur qui perlait sur son front. Il était malade assurément. Il avait entendu des bruits de couloir au commissariat disant que Lornbeck était sur la mauvaise pente, il n’y avait pas prêté attention jusqu’à cet instant. Malgré le fait qu’ils ne seraient jamais amis, Lornbeck étant vraiment trop antipathique même pour la personnalité calme et mesuré d’Alpeed, ce dernier éprouvait du respect et de la tristesse pour le gros bonhomme. Sa femme l’avait quitté plusieurs années auparavant, Alpeed ne lui connaissait aucune famille, aucun ami. Le commissaire l’avait dans le nez, pourtant c’était un bon inspecteur…

« Lieutenant Alpeed, je vous affecte à mes côtés sur l’enquête… »

Alpeed sortit de ses pensées et considéra Lornbeck. Haustatsh ne lui avait donné aucune consigne dans ce sens mais il ne l’avait pas non plus assigné à l’enquête.

«  Mais le commissaire ?…
- Haustatsh serait d’accord avec moi, cette affaire prend de l’ampleur, nous avons un tueur actif sur le dos et j’ai besoin d’aide. Vous êtes un homme jeune, compétent et j’ai confiance en vous lieutenant. Nous avons encore demain et après-demain pour trouver le coupable, après le commissaire en décidera surement autrement, alors pas de temps à perdre. J’ai besoin que vous alliez à Lambeth interroger les autres vendeurs de poisson. Trouvez où elle habitait, voyait si vous pouvez avoir quelque chose du voisinage. Retrouvez-moi au commissariat ce soir, je dois vérifier une piste de mon côté. » Dit-il en tapotant du bout des doigts le journal qu’il avait dans sa veste.

Alpeed resta une seconde interdis puis confirma la demande de l’inspecteur. Il salua le légiste et parti quand il comprit que Lornbeck ne souhaitait pas qu’il l’attende.

Waslerd se dirigea vers Lornbeck le scruta avec inquiétude.

« Que vous arrive-t-il mon ami ? Je vous vois fébrile Avez-vous…
- Merci Carl mais nous discuterons un autre jour, il faut que j’y aille, désolé. » Le coupa sèchement l’inspecteur. Et planta là le légiste qui le regarda s’éloigner plein d’amertume. Les hommes réagissent différemment face à la douleur, qu’elle soit morale ou physique. Waslerd se demanda laquelle des deux faisait le plus souffrir le gros bonhomme.

***

Lornbeck sortit aussi vite que possible que la morgue. Son front se constellait de grosses gouttes de sueur acre. Il ne voulait pas qu’Alpeed ou Waslerd vit sa détresse, mais la douleur lui vrillait les entrailles comme les flammes de l’enfer. Et la haine qu’il éprouvait pour le tueur sans visage, celui qui avait certainement tué sa femme et qu’il n’attraperait peut-être jamais n’arrangeait rien.  Il n’arrivait presque plus à respirer. Il marcha quelques mètres pour s’éloigner du bâtiment en se tenant à ses murs et s’engouffra dans une sombre ruelle transversale. Ici, le soleil ne venait jamais qu’au plus cœur de l’été. La ruelle, trop étroite, à peine assez large pour laisser passer le gros bonhomme de face était condamnée à la pénombre le reste de l’année. Il y avait des détritus, des excréments animal et sans doute humain un peu partout contre les murs.

Lornbeck ne put faire plus de pas, il tomba à genoux, les mains crispées sur son abdomen durcit par une tension qui ne le quittait plus depuis des semaines. Il vomit tout ce qu’il put. Et parmi la bile et son petit déjeuner, de gros caillots de sang. Ce n’était pas la première fois, mais il ne pouvait ignorer qu’il n’en avait jamais eu d’aussi important. Il vomit encore. Un garçon de course qui passait devant la ruelle observa quelque seconde le gros homme malade à genou. Il poursuivit très vite son chemin redoutant le cholera et ne souhaitant pas rejoindre au ciel son père mort trois ans plus tôt de la maladie.

Lornbeck essuya sa bouche du revers la main. Des filets noirs de bile s’étaient mêlés au reste de ses vomissures. Doucement, il prit appuis sur ses genoux et se releva. La douleur était retombée d’un cran. Il put se remettre en route, titubant légèrement sous les effets de sa tête fiévreuse.

Il sortit de la ruelle et remit son chapeau. Une pluie fine ne mit à tomber au même instant, effaçant aux yeux des autres passants, les rides profondes qui s’étaient creusées sur le visage fatigué de l’inspecteur.

Des gouttes qui cachèrent aussi ses larmes d’homme brisé.

— Eleken,
Un 6e épisode, j’approche du millieu de mon récit,
J’espère qu’il est bon.


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