« Monseigneur Lefebvre ? On le poussera au schisme ! » (13)

Publié le 13 octobre 2009 par Hermas
LE RENDEZ-VOUS « FANTOME » AVEC MGR MAMIE

Mgr Pierre Mamie avait succédé à Mgr Charrière le 29 décembre 1970, comme Evêque de Lausanne, Genève et Fribourg, peu de temps après la fondation par Mgr Charrière de la Fraternité Saint Pie X. Mgr Mamie n’était pas revenu sur cette décision. Mais, selon des bruits qui venaient de Fribourg, suite à des protestations de son clergé, et à des demandes de célébration de la Messe de Saint Pie V dans son Diocèse, Mgr Lefebvre se doutait bien que, un jour ou l’autre, Mgr Mamie remettrait la Fraternité en question, sous un prétexte ou sous un autre. Tous les moyens étaient bons, on va le voir. Et il en fut ainsi [Ci-contre : Mgr Mamie, Evêque de Lausanne].

Mgr Lefebvre reçut un coup de téléphone de Mgr Mamie vers le 10 avril 1973 [je ne me souviens plus de la date exacte]. Il lui demandait de bien vouloir venir le trouver à Fribourg, pour étudier avec lui les questions posées par l’existence de la Fraternité dans le Diocèse de Fribourg. Le rendez-vous fut fixé au Mercredi Saint 18 avril 1973. Je conduisis Mgr Lefebvre en voiture à Fribourg, le déposai à l’Evêché et me rendis à la Maison de la Fraternité à Fribourg, Rue de la Vignettaz, pour l’y attendre.


A ma grande surprise, je le vis arriver vingt minutes plus tard, décontenancé. Il me déclara : « Le portier a frappé au bureau de Mgr Mamie, sans obtenir de réponse, puis, ayant demandé au Chancelier où se trouvait l’Evêque, ce dernier lui a répondu que Mgr Mamie s’était rendu en train à Genève. Cette affaire est louche me confia Mgr Lefebvre. En langage populaire, on dirait qu’il ‘m’a posé un lapin’… Après la parole d’honneur du Cardinal Marty, rien ne m’étonnerait plus. Mais attendons, pour ne pas faire de jugement téméraire ». Vers midi, les séminaristes qui étudiaient à l’Université de Fribourg, Jean-Yves Cottard, Paul Aulagnier, Bernard Tissier de Mallerais arrivent rue de la Vignettaz, tout surpris d’y trouver Mgr Lefebvre. « Monseigneur » leur explique l’affaire. Ils répondent : « Mgr Mamie ? on l’a vu ce matin à la gare de Lausanne au moment où il allait prendre le train pour Genève, et nous l’avons même salué ».


Nous retournons à Ecône. Mgr Lefebvre me fait part de ses craintes. Il s’attend à tout désormais. Il a compris l’acharnement des Evêques de France, le déchaînement de certains, dont Mgr Ménager qui avait rédigé un rapport mensonger pour mettre en garde contre le "Séminaire Sauvage "(il faut dire que tous les séminaristes du petit séminaire de Meaux étaient venus à Ecône !), et l’avait même envoyé à Rome. Et puis, les lettres de protestations d’Evêques de France commençaient à s’accumuler sur le bureau de Mgr Lefebvre, lui déniant le droit de venir faire des conférence dans leurs Diocèses, critiquant et condamnant l’orientation prise par le séminaire, l’adoption de la Messe de Saint Pie V "interdite" depuis l’introduction du Novus Ordo etc. : Mgr Desmazières, Evêque de Beauvais (photocopie, archives personnelles), Mgr Barbu Evêque de Quimper (ibid°), et d’autres encore.


Deux jours plus tard, Mgr Mamie adressait la lettre suivante à Mgr Lefebvre, DATEE DU MERCREDI 18 AVRIL, jour fixé pour le rendez-vous entre les deux Prélats (photocopie de l’original, archives personnelles) : 

EVECHE DE LAUSANNE    1701 Fribourg, 18 avril 1973. D

GENEVE ET FRIBOURG  ²  86 Rue de Lausanne

C.P. 77

TEL. (037) 22 67 21

Monseigneur Marcel Lefebvre

Fraternité  Saint Pie X

Vignettaz 50

FRIBOURG 
 

Cher Monseigneur,

Au jour que nous avions convenu, je vous ai attendu, mais vous n’êtes pas venu. Peut-être y-a-t-il eu un malentendu, mais il reste urgent que nous nous rencontrions au sujet des problèmes que me cause votre Séminaire à Ecône, en particulier les questions que je me pose sur la liturgie de la Messe de Saint Pie V.

Je suis obligé de vous dire que je remets en question aujourd’hui la protection que l’Evêque de Fribourg a accordée à la Fraternité Sacerdotale Internationale Saint Pie X dans notre diocèse. Je dis simplement que je la remets en question ; c’est pour cela que je serais heureux de vous rencontrer après Pâques.

Si je désire réexaminer le problème de ce protectorat, ce n’est pas – vous ne sauriez en douter – que je veuille en quelque manière, prendre quelques distances à l’égard de l’Eglise d’aujourd’hui, du Concile, de tous les Conciles, y compris Vatican II et de Sa Sainteté Paul VI. C’est surtout parce que dans le diocèse, actuellement, se créent des tensions et des divisions extrêmement douloureuses à propos de la messe de St-Pie V, tensions qui me paraissent souvent de vaines querelles et discussions inutiles.

Par conséquent, je pense que nous devons nous rencontrer afin de préciser notre pensée à chacun. Je vous redis que, lorsque Monseigneur Charrière avait accepté la présence sous son autorité de la Fraternité St-Pie X, il n’avait jamais été question, ni implicitement ni explicitement, de nouvelles maisons de formation sacerdotale. Vos maisons de formation théologique ne se situent pas dans notre diocèse, mais vous n’ignorez pas que les choses sont en partie conjointes et que l’un dépend de l’autre. De tout cela, nous aurons à parler.

Faut-il redire encore combien je veux rester attaché  à toutes les intentions de Sa Sainteté Paul VI.

Je vous souhaite de bonnes fêtes de Pâques.

Très respectueusement

+ Pierre Mamie

Evêque de Lausanne, Genève et Fribourg

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    Copie à LL.EE les Cardinaux Gabriel Garrone, et John Wright

Mgr Nestor Adam, Président de la Conférences des Evêques suisses


La lettre arriva quelques jours plus tard à Ecône. Mgr Lefebvre, outré, ne peut retenir ces paroles : « Je vous l’avais dit : ce sont tous des menteurs ! On ne peut leur faire confiance. Ils utilisent l’arme du Démon, le mensonge, pour détruire une Œuvre que je pense être une Œuvre de Dieu, et surtout pour détruire le Saint Sacrifice de la Messe. Vous le voyez vous-même, il parle explicitement de la Messe de Saint Pie V. Comme vous l’a dit Mgr De Bazelaire, présent à Lourdes. C’est contre la Messe qu’ils en ont !  Je vous le répète, tous les moyens leur seront bons, même les plus malhonnêtes ! ».


Mgr Lefebvre répondit la lettre suivante à Mgr Mamie, en date du 25 avril, Mercredi de Pâques :


Fraternité  Sacerdotale Saint Pie X    + Ecône le 25 avril 1973

50 Route de la Vignettaz

1700 FRIBOURG

Tél. 037 / 24 51 91

Cher Monseigneur,

J’ai le regret de vous dire que je ne puis être d’accord avec les premières lignes de la lettre que vous m’adressez le 18 avril.

Avouez que c’est un comble ! Je suis venu à l’évêché le Mercredi à 11 h. 30 comme convenu. Le domestique m’a fait monter à votre bureau. Il a frappé à plusieurs reprises : vous n’y étiez pas. Il m’a prié d’attendre dans la salle de l’ascenseur et il est allé voir le Chancelier qui lui a dit que vous étiez parti à Genève. Je ne pouvais que rentrer chez moi, assez décontenancé de n’avoir pas été prévenu.

Or, ce même jour, et à cette heure, les séminaristes que vous avez aimablement salués, vont ont rencontré  sur le quai de la gare de Fribourg. Voilà la réalité. Avouez qu’elle est autre que ce que vous me dites , « Je vous ai attendu mais vous n’êtes pas venu ».

Décidément, ceci, plus le communiqué inexact du Cardinal Journet auquel vous n’êtes pas étranger, plus votre lettre m’accusant de ne pas appliquer les consignes de Vatican II, ce qui est une grossière calomnie, cela fait beaucoup de choses qui auraient besoin d’être éclaircies entre nous, et en tout cas, beaucoup de tort que vous nous faites indûment. J’espère que vous aurez la charité de rétablir la vérité auprès des autorités auxquelles vous adressez le double de cette lettre.

J’ai toujours été disposé à parler franchement et simplement avec mes confrères dans l’épiscopat, jamais je n’ai accusé publiquement l’Episcopat, ni un Evêque en particulier ; mais depuis quelques mois, les Evêques de France et vous-même avez pris à parti mon Œuvre et indirectement ma personne, me faisant passer pour un rebelle à l’autorité du Pape et du Concile, ce qui est entièrement faux.

Aucun Séminaire en France et en Suisse n’applique avec autant d’exactitude la « Ratio Fundamentalis » publiée par la S.C. pour l’Education Chrétienne. Elle représente ce que le Concile désire.

Tout ce qui a été fait pour la Fraternité : création, approbation des Statuts, est conforme au Droit Canonique. Et j’affirme que la Maison de Formation est explicitement contenue dans les Statuts approuvés, et loués par la S.C. pour le Clergé , et d’abord par S. E. Mgr Charrière. C’est même un des buts principaux de la Fraternité.

La seule chose qui apparemment donne l’impression de résistance à l’autorité est la question liturgique. Mais c’est un faux problème, car, d’une part le « Novus Ordo » ne peut que coexister avec la Messe définie pas St Pie V, et ne pourra jamais s’y substituer de droit. La Bulle de St Pie V est un acte disciplinaire lié à un dogme, de telle sorte qu’elle est garantie de l’infaillibilité, comme un acte de canonisation. Le Pape Paul VI peut certainement faire un nouveau rite. Il ne peut pas supprimer l’ancien. Et c’est bien la raison pour laquelle il a dit au Cardinal Auran ( ? illisible) : « Un décret ne supprime pas l’autre ».

La pression personnelle exercée par Mgr Bugnini et par les Episcopats pour la suppression de la Messe de S. Pie V est un abus d’autorité inadmissible.

D’autre part les autorisations de Messes de groupes permettent très légitimement de choisir cette Messe. Donner la plus complète liberté de créer les prières en dehors de l’Evangile et des Canons approuvés, mais interdire la prière ancienne, est une manifestation de sectarisme anti-traditionnel intolérable pour un catholique digne de ce nom. A ce point, la phobie de la Tradition, surtout lorsqu’il s’agit de la Sainte Messe, ne peut pas venir de l’Esprit Saint.

La liberté accordée doit donc faire place aux prières du choix de l’assemblée et des célébrants.

Or nous sommes bien un groupe selon les définitions agréées et publiées par la Conférence Episcopale suisse.

Ainsi, nous pensons que les immenses avantages de cette Liturgie qui crée l’unité, qui permet par le latin et le chant grégorien irremplaçable et irremplacé, qui est riche de pensées dogmatiques si utiles aux séminaristes, nous encouragent à la garder de préférence à la nouvelle, tout en demeurant dans l’obéissance et la soumission au Saint-Siège et au Pape.

Les tensions dont vous parlez dans votre ville, auxquelles je suis tout à fait étranger, bien qu’elles s’appuient parfois sur notre exemple, disparaîtraient si, comme en Allemagne, des autorisations de célébrer la Messe de S. Pie V étaient données dans certains lieux de culte et à des heures précises pour des prêtres et des fidèles qui les sollicitent. Ce serait là de la vraie pastorale.

Je suis prêt à revenir à  l’Evêché, dès que possible, bien que ma déconvenue m’ait laissé quelque amertume, et que votre fausse accusation ne l’ait pas diminuée. Mais je ne puis venir qu’entre le 15 et le 20 mai. Je téléphonerai dès mon arrivée à Fribourg.

Veuillez agréer, cher Monseigneur, l’expression de mes sentiments très respectueux et cordialement dévoués en N.S. et N.D.

+ Marcel Lefebvre

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        (photocopie de l’original, archives personnelles)

Le 6 mai 1975 : Mgr Mamie supprime la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X

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    Lettre de Mgr Mamie à Mgr Lefebvre

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    Monseigneur,

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    Mgr François Charrière, mon prédécesseur, avait signé, le 1er novembre 1970, le décret d’érection de la Fraternité Sacerdotale internationale Saint-Pie-X, au titre de Pia Unio, avec siège à Fribourg, approuvant et confirmant les statuts de ladite Fraternité.

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    Après de longs mois de prières et de réflexions, après avoir tant souhaité  maintenir entre nous une communion fraternelle, après vous avoir entendu et écrit plus d’une fois (pensez entre autres à notre dernière conversation, ouverte et loyale, où vous m’avez clairement dit que vous n’acceptiez pas certaines déclarations conciliaires ; je vous rappelais aussi alors votre refus en ce qui concerne la célébration de la sainte messe selon le rite établi par S.S. Paul VI ; je vous disais enfin que votre attitude et vos actes me posaient une grave question de conscience en ce qui regardait l’appui canonique de l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg à votre institut), j’en arrive à la conclusion douloureuse, mais qui me paraît nécessaire aujourd’hui :

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    Je vous informe donc que je retire les actes et les concessions effectués par mon prédécesseur en ce qui regarde la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie-X, particulièrement le décret d’érection du 1er novembre 1970.

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    Vous recevrez ces jours-ci ou vous avez déjà  reçu une lettre du Saint-Siège, plus précisément de la Commission cardinalice ad hoc. C’est donc en plein accord avec le Saint-Siège, en particulier conformément à une réponse que j’ai reçue du cardinal Arturo Tabera, préfet de la S. Congrégation pour les Religieux et les Instituts séculiers, que je prends cette décision.

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    En date du 21 novembre 1974, vous avez publié et signé un texte qui commence par ces mots : « Nous adhérons de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catholique… »

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    Cette déclaration a été pour moi la confirmation que je ne pouvais plus, en conscience, soutenir votre Fraternité.

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    Vous vous opposez si manifestement au IIe concile du Vatican et à la personne et aux actes du Successeur de Pierre, Sa Sainteté le Pape Paul VI, vous avez si souvent dit et écrit que vous aviez l’appui de l’évêque de Fribourg, que je ne puis plus admettre que l’autorité de l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg demeure le fondement canonique de vos institutions. J’ai conscience aussi que cette décision met en cause tout ce qui est prévu dans les statuts de la Fraternité Saint-Pie-X.

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    Cette décision est immédiatement effective et j’en informe, par le même courrier, les instances romaines compétentes (S. Congrégation pour les Religieux, S. Congrégation pour l’Éducation catholique et S. Congrégation pour le Clergé), ainsi que S. E. Mgr Ambrogio Marchioni, Nonce Apostolique en Suisse, et Mgr Nestor Adam, président de la Conférence des évêques suisses.

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    Quant à nous, nous continuons de demander aux fidèles comme aux prêtres catholiques d’accepter et d’appliquer toutes les orientations et décisions du IIe concile du Vatican, tous les enseignements de Jean XXIII et de Paul VI, toutes les directives des secrétariats institués par le Concile, y compris dans la liturgie nouvelle. Cela nous l’avons fait et nous le ferons encore, même aux jours les plus difficiles et avec la grâce de Dieu, parce que, pour nous, c’est là le seul chemin pour « édifier » l’Église.

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    C’est donc avec une grande tristesse, Monseigneur, que je vous assure de ma fidèle prière et de mes sentiments très fraternels, dans l’attachement au Christ Jésus, à son Église et à celui qui a reçu le pouvoir divin de confirmer ses frères, le Souverain Pontife, successeur de Pierre.
     

Les Evêques ont cherché à tout prix, durant toutes ces années, à obtenir l’excommunication de Mgr Lefebvre, et ils ne le cachaient pas, comme le montre cet épisode révélateur, ces déclarations de Mgr Mamie quatre plus tard en 1979 :


Le deuxième Dimanche de Carême de 1979, j’ai rencontré Mgr Mamie. Le Prélat, ami de Mgr Arrighi, Recteur de la Trinité des Monts, était venu à la Trinité des Monts pour y célébrer la Messe. Les séminaristes sortis d’Ecône et les séminaristes venus directement de France, et regroupés en une seule communauté, assuraient le service de l’autel et les chants chaque dimanche depuis 1974. De nombreux Prélats qui les appréciaient et leur apportaient leur soutien spirituel, par des conférences notamment, venaient volontiers célébrer la Sainte Messe à la Trinité des Monts : le Cardinal Philippe, le Cardinal Gantin, le Cardinal Martin, le Cardinal Pignedoli, Son Excellence Mgr Gagnon. Son Excellence Mgr Calmels, Abbé Général  des Prémontrés etc.

A la fin de la Messe, Mgr Arrighi me demande de reconduire Mgr Mamie au Vatican, où il devait déjeuner avec l’aumônier de la Garde Suisse. Au cours du bref trajet, Mgr Mamie, me dit à brûle-pourpoint : « Je ne comprends pas pourquoi le Pape n’a pas encore excommunié Mgr Lefebvre : il a toutes les raisons pour le faire, et pour mettre un terme au refus de célébrer le Nouvel Ordo promulgué par Paul VI ! Il ne peut tolérer une telle désobéissance. C’est un mauvais exemple pour l’Eglise ! Mgr Lefebvre introduit la division dans l’Eglise ! Qu’en pensez-vous ».

Je répondis simplement : « Excellence, permettez-moi de ne pas répondre ! Car je devrais parler de faits qui concernent directement vos rapports précédents avec Mgr Lefebvre ». Et je le déposai au Vatican.

Mais le problème de l’excommunication se posait aussi à Rome, car certain hauts Prélats français notamment, poussaient le Saint-Père dans cette voie [A suivre].

Mgr Jacques MASSON