Sa montre indiquait 15h55. Il est en avance de cinq minutes. Il regarda autour de lui : toujours le même serveur au bar, le même décor rustique, et y’aura toujours la même commande. Lui, un café crème, et elle, un milkshake à la vanille. Il regarda encore une fois sa montre.
15H58. Il ne savait pas s’il était impatient de la voir ou plutôt anxieux de devoir le lui dire. Il était perdu dans ses pensées, quand il sentit ce hâle de parfum sucré qui l’enivrait tant. C’était elle.
-Salut ! Je ne suis pas en retard j’espère. J’ai trouvé des difficultés à trouver un taxi. En plus, y’avait un match, donc comme d’habitude, aucun métro en vue !
-J’aurais pu passer te prendre, mais tu n’as pas voulu…
Elle s’assit sur la chaise à côté de lui avant qu’il n’ait eu le temps de la dévisager. Il n’arrivait pas à la regarder dans les yeux, et Dieu sait combien elle savait les mettre en valeur, et comment lui, il aimait s’y perdre. « Ses yeux de biche », il les appelait.
Ils s’échangèrent quelques banalités, mais l’ambiance entre eux devenait de plus en plus lourde. Il fallait passer à l’essentiel. Elle se lança la première.
-Je suis au courant. Tu n’as pas à tourner autour du pot.
-Je ne tourne pas autour du pot ! Je ne savais pas comment tu le prendrais, donc je voulais te ménager.
-Hein ? c’est nouveau ça ! Mais t’inquiètes pas, je suis heureuse pour toi ; je mettrais ma plus belle robe pour la cérémonie, la robe rose fushia brodée, tu t’en rappelle ? Vous avez préparé une liste de cadeaux que vous voulez recevoir ?
Et comment il aurait pu oublier la robe qu'ils ont choisi ensemble? Mais, il n’arrivait pas à croire ses oreilles. C’est tout ? C’est tout ce qu’elle a à dire ? La liste de cadeaux ??? Lui, il en sait rien de tout ça, et il ne veut pas en entendre parler. Il n’a pas arrangé cette entrevue pour entendre ça. Après, elle lui posa quelques questions sur la mariée, le lieu de la cérémonie, sa lune de miel et ses projets en Belgique. Il lui répondait machinalement. Ce n’était pas elle, celle avec qui il a passé les plus belles nuits d’ivresse. Les beaux draps blancs, les bougies dans la minuscule terrasse de son appart, leurs petits rituels auxquels ils s’adonnaient à cœur joie, les longs débats qu’ils improvisaient n’étaient qu’orgasme intellectuel, celui qui précédait l’orgasme de leurs sens.
Comment ça se peut qu'elle puisse être si froide, si désinvolte ?
Elle regarda sa montre et lui fit signe qu’il était temps de déguerpir, avant la fin du match ; sinon ils devront faire face aux hordes de supporters qui vont bloquer les rues.
Il avait encore espoir qu’elle le lui dise, qu’elle le lui avoue, qu’elle se mette à nu. Mais rien. Sur le chemin du retour, elle est restée silencieuse ; il fit pareil. Il donnerait tout pour savoir ce qui trame dans sa jolie petite tête.
Arrivés en bas de chez elle, il arrêta le moteur de sa Jetta et attendit. Elle le regardait. Un regard vide, mais qui voulait tellement dire de choses, ou plutôt c’est ce que lui il s’y plaisait à croire. Elle descendit.
-Je peux monter ?
Elle se retourna, médusée par la question. Et avant qu’elle ne réponde, il lui lança un timide « j’ai oublié mon CD de Bliss chez toi, et je voudrais le récupérer ».
Il cherchait n’importe quel prétexte pour monter. Chez elle, dans son petit monde à elle, elle se sentira vulnérable, et elle le lui dira, elle le suppliera de tout arrêter, de rester avec elle, elle lui dira que peu importe la distance, elle partira avec lui, il se sentira revigoré, il essuiera ses larmes, l’embrassera tendrement, puis passionnément : sur la bouche, sur son cou, sur son buste, la chute de ses reins, et ils feront l’amour, comme jamais, pour que ces draps s’en souviennent encore et encore. Après, il passera ce fameux coup de fil et annulera tout : la cérémonie, la commande de vins, la confection du gâteau, et par la même occasion, il se fera traiter de « salaud », de « pauvre connard », de « coureur de jupon », et tous les autres noms d’oiseaux.
Cette sensation de fraîcheur, cette lumière, cette…
-Ton CD est sur la table de la télé, tu peux le prendre et partir, dit-elle se dirigeant vers la terrasse. Je sais ce que tu veux me faire faire. Mais je ne construirais pas mon bonheur au dépens de celui d’une autre. Tu as fait un choix, assume-le.
-Tu sais très bien que je suis un lâche. J’ai besoin de te l’entendre dire.
-Je te serais plus utile en tant qu’amie. C’est à moi que tu raconteras tes prises de têtes, c’est à moi que tu crieras tes coups de gueule, c’est à moi que tu confieras tes peurs et craintes,… Nous n’aurons pas à nous chamailler parce que la distance commence à peser lourd sur notre couple,…
-On aura notre propre appart à Bruxelles, je t’offrirais des voyages dont nul autre ne peut rêver, nous irons au Brésil, en Malaisie, même en Antarctique si tu veux…
-Je n’aurais pas à t’attendre dans un appart vide toute la journée, pour finir par prendre un amant qui viendra se glisser dans mon lit, notre lit, chaque fois que tu sors le matin pour aller travailler… Tu as beau y croire, mais…
-…
-Je sors m’en griller une, ferme bien la porte derrière toi.
Il savait que cette discussion ne mènera nulle part. Qu’est ce qu’elle est bornée ! Il prit le CD puis claqua la porte derrière lui. Il savait qu’elle allait éclater en sanglots, si ce n’est déjà fait.
Ce texte, pour ceux qui l'ont reconnu, est considéré comme une partie intégrante à l'épisode 3 de ma nouvelle "Et Si...". Beaucoup m'avaient demandé de clarifier la relation qu'il y avait entre les deux personnages alors que moi-même, je ne le savais pas. Alors j'ai imaginé, et je me suis inspirée. Et pour conclusion, on va dire que la rupture n'est pas qu'entre ces êtres.