Ceux qui reprennent la mer

Publié le 15 octobre 2009 par Jlk


Celui qui aurait pu rencontrer Arthur Rimbaud ce matin-là dans la foule de Marseille s’il avait su à quoi il ressemblait / Celle qui ne pensait pas que le marchand d’armes Rimbaud fût si blond / Ceux qui prétendent avoir vu le nommé Rimbaud et le marin polonais Josef Korszeniowski parler commerce au pied du trois-mâts Mont-Blanc à bord duquel le second venait de débarquer des Caraïbes / Celui qui sait par cœur Illuminations sauf les pages que sa mère en a arrachées pour allumer le feu de sa cuisinière à bois de marque Le Rêve / Celle qui a assez d’imagination pour tenir son bureau fermé à clé / Ceux qui n’ont aucune expérience des femmes joviales et s’en ressentent en cuisine / Celui dont l’honnêteté a le poids et l’épaisseur d’un bloc de parpaing / Celle qui a longtemps cru que son époux Alphonse était trop bouché pour s’aviser de sa double vie jusqu’au jour où elle découvrit dans son journal intime quelle romance il vivait de son côté avec divers cochers / Ceux qui ne se froissent plus de rien en apparence tout en notant chaque fait méritant vengeance / Celui qui parle toujours de beau temps pour mieux savourer la remémoration des grains qu’il a essuyés en mer de Chine / Celle qui a enseigné le clavecin à la sœur de l’assassin à la serpe / Ceux qui ont une expérience professionnelle du sale temps en montagne et qui ont pourtant toujours les chocottes dès que se manifeste le feu Saint-Elme / Celui qui ne se rappelle plus rien de ce qu’il a appris à l’école navale sur les ouragans circulaires ni sur les femmes instables à la même époque / Celle qui tresse la natte du Chinois tandis que le ciel se charge de nues mauves et moites / Ceux qui constatent avec stoïcisme que la tornade se dirige droit sur leur carré de tomates juste mûres / Celui qui peint des ouragans mais dans la manière minimaliste conforme au marché international / Celle qui estime qu’on se fait à tout même aux tremblements de mer / Ceux qui lèvent le poing vers le ciel non sans se douter qu’il n’en a rien à battre / Celui qui estime que la chaleur de four de ce soir ferait jurer un saint sauf qu’un saint n’est pas censé avoir envie de baiser / Celle qui surveille son langage par discipline héritée de son bisaïeul majordome à London / Ceux qui ont de la peine à l’idée que les prisonniers de la soute se noieront sans même pouvoir se jeter à la mer même infestée de requins / Celui qui guette la formation d’un typhon dans la physionomie du Chef de Bureau / Celle dont la façon de parler par litotes exaspère ses collègues dactylographes majoritairement volubiles / Ceux qu’on imagine libres parce qu’il ne s’attachent à personne alors qu’ils cherchent partout un partenaire digne d’eux en matière de tyrannie mentale réciproque et plus si affinités / Celui qui a toujours eu quelque scrupule esthétique à chier dans la mer / Celle qui pressent que cette fois nul n’échappera au tsunami en dépit des rapports excellents que certains membre du groupe entretiennent avec celui qu’ils appellent Le Tout Puissant sans prendre tout à fait au sérieux cette appellation / Ceux qui estiment que les dernières dévastations des îles Samoa ont sûrement un motif à caractère moral s’agissant d’indigènes à l’excessive sensualité, etc.
Image : Balthasar van den Bos.

(Notes prises en marge de la lecture de Typhon de Jozef Kornesziwski, alias Joseph Conrad)