On reparle ces temps-ci d’Alan Turing, grâce aux excuses que Gordon Brown a bien voulu lui faire à titre (largement) posthume. Le Monde du 14/10 lui consacre une page entière, qui contient l’essentiel de ce que nous savons aujourd’hui sur ce grand génie du XXème siècle, à qui notre monde doit tant. Pensez, rien moins que :
1- l’invention de l’informatique, ce qui n’est quand même pas rien quand on voit ce qu’elle est devenue dans notre environnement économique !
2- le décryptage des codes secrets allemands pendant la seconde guerre mondiale, grâce à la machine Enigma .
Ajoutons en passant des idées totalement révolutionnaires sur les mécanismes de la vie, dont des biologistes commencent seulement à s’inspirer, et le concept même d’Intelligence Artificielle (concept envers lequel il avait semble-t-il une inclination plutôt ironique).
Avec tout ça, vous faites un parfait inconnu : en cours de master, l’autre jour, je me suis rendu compte qu’aucun étudiant n’avait jamais entendu parler de Turing… Cet effacement de la mémoire collective est hallucinant. A quoi est-il du ? Alan Turing n’avait pas le don des relations sociales, comme le dit pertinemment l’auteur de l’article du Monde, Jerôme Fenoglio. Mais cette explication est-elle suffisante ? Il y a bien sûr la façon dont l’establishment britannique a voulu enterrer ce héros qui faisait tâche et à qui pourtant il devait tant… Turing homosexuel et (surtout) ne s’en cachant pas, Turing voyageant à l’étranger et risquant de communiquer des « secrets-défense », Turing enfin que l’on pousse au suicide en l’obligeant à prendre des hormones féminines qui le rendent impuissant et modifient de fond en comble son apparence physique. Décidemment, ce pauvre Turing n’a pas eu la chance de vivre de nos jours et de s’appeler simplement Mitterrand, comme tout le monde.
Mais à côté de cela, ne faut-il pas voir aussi un peu de cette haine de l’intelligence, qui, de tout temps et bien sûr aujourd’hui, s’est emparé des médias et d’une bonne partie “des gens”, hélas, qui ne sont pas toujours bien éclairés…
C’est que de tels personnages, voyez-vous, ils inquiètent.
Voici une page de l’album que Goffin et Peeters ont consacré à Turing en 1992, paru aux éditions « Les Humanoïdes Associés », sous le titre : « Le Théorème de Morcom ». Alan Turing y apparaît sous le nom de Julius Morcom (c’était le nom du camarade d’études dont il était tombé amoureux). Celui qu’on appelle « Rules » est bien sûr Bertrand Russell, quant à « monsieur Williams », le professeur rouquin et binoclard, il n’est autre, vraisemblablement, que Ludwig Wittgenstein.