Tres chere ligne 13

Je ne sais pas ce qui m'a pris. Je me suis mise à dévaler les escaliers d'une bouche de métro à Saint Lazare pour rejoindre le quai de la Ligne 13, direction Saint Denis-Asnières Gennevilliers. Oublié, j'avais oublié le sardinage quand je me suis glissée dans le flot des usagers collés serrés tout au fond d'une rame, sans trop savoir pourquoi... Si, aller chez les chinois qui bordent l'Avenue de Clichy à la recherche d'un trench coat noir... C'est déjà ça.
J'ai fermé les yeux. Ma mémoire bétonnée sur le puit de mon passé retrouvait ses ancrages. Chaque soubresaut de la rame brinquebalante sur ses aiguillages fissurait un peu plus le barrage dressé entre mes souvenirs et le 7H21 pour Nanterre Université qui a réussi à me faire détester jusqu'à la Station de Clichy Levallois... Un exploit. Ce job à Colombes me mine et ravine toutes mes pensées. Bleu marine, mes pensées comme les couleurs de la rame de la Ligne 13.
La Fourche. "Je vous rappelle que ce train a pour destination Asnières Gennevilliers" hurle dans le haut parleur le chauffeur du convoi avant que tous ceux qui n'ont pas réalisé qu'ils vont à Asnières et non pas à Saint Denis via Saint Ouen ne vous bousculent pour s'éjecter en trombe sur un quai noir de monde. La Fourche. La station est nue et dépouillée de ses vieux atours jaunes. On va lui refaire une beauté, on dirait. Je suis happée par le courant d'air à l'entrée de la bouche, à l'angle de deux artères parisiennes obstinément sclérosées par la circulation. Ca klaxonne et même le feu au rouge, il faut rester attentif à ne pas se faire renverser par quelque conducteur énervé.
Des trenchs coat noirs il y en a des centaines, de toutes les formes, de toutes les couleurs sur l'Avenue de Clichy. Je rentre et je sors de dizaines de boutiques où des vendeurs blasés jouent sur des consoles de jeux à défaut d'appuyer sur une caisse enregistreuse. C'est la grande force de ces gens là. Aucune vendeuse trop zélée ne vous poussera à consommer. Vous pouvez tout toucher, tout essayer pour chasser vos états d'âme et ne rien acheter, on se contentera juste, d'un geste discret de remettre patiemment la marchandise en place et de vous saluer d'un simple signe de la tête... Car voilà, je n'ai plus envie d'un trench coat noir... Je veux un chapeau en laine bouillie rouge avec une fleur sur le côté pour chasser mes idées noires...
Les souvenirs affluent et se bousculent à la vitesse d'un cheval au galop. Ils remontent l'avenue à la vitesse de ce vent d'automne qui a chassé le soleil et teinté le ciel d'un gris froid... Un gris qui n'est pas de Payne comme l'a écrit Henri Miller, mais de ce gris typiquement nord parisien, celui qu'on trouve aux faubourgs de la Capitale de la Porte de Champerret à celle de Clignancourt. Un gris qui me rappelle le bleu de la rame de métro Ligne 13. Un gris et un bleu qui se mélangent et me noient dans un océan de mélancolie mais me rappellent que si j'ai mal, c'est que je suis vivante et que le 7H21 direction Nanterre Université n'a pas réussi à tuer mes souvenirs. Ils sont simplement occultés. Et me reviennent mes Jours Tranquilles à Clichy... Très Chère Ligne 13, je te jure que je reviendrai...