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« Monseigneur Lefebvre ? On le poussera au schisme ! » (14 [fin])

Publié le 16 octobre 2009 par Hermas

ET SI L’ON EXCOMMUNIAIT MONSEIGNEUR LEFEBVRE ? 

La question m’a été posée personnellement par Mgr Jérôme Hamer, Dominicain, Archevêque, Secrétaire de la Congrégation du Saint-Office. Dès mon arrivée à Rome le 29 septembre 1974, suivi quelques jours plus tard des premiers « transfuges » d’Ecône, Bruno Dufour, Thierry Lelièvre et Bertrand Lelièvre (d’autres avaient quitté mais accomplissaient alors leur service militaire), Mgr Hamer s’était occupé tout particulièrement de nous, avec Mgr Jacques Martin. Il ne cessera de nous guider, prêchant même des retraites quand le groupe était devenu plus important. Il accueillait les séminaristes venus d’Ecône, et ceux qui refusaient les séminaires français. 

Mgr Hamer passait assez régulièrement chez moi, pour prendre des nouvelles de chacun. Au mois de janvier 1976, il me posa la question suivante : 


- « Que ferait Monseigneur Lefebvre si le Pape l’excommuniait »

  

Sans hésitation, je lui répondis :


- « Il consacrerait des Evêques ! ». 

Je lui expliquai alors ce qui s’était passé à Lourdes, puis lors de la réunion du Conseil des professeurs, et combien la situation s’était durcie à Ecône. Il me posait cette question pour deux raisons : Mgr Lefebvre avait prévu l’ordination de prêtres pour le mois de juin 1976, et les Cardinaux Villot et Garrone, vivement encouragés par les Evêques de France, avaient rédigé un document demandant au Pape Paul VI d’excommunier Mgr Lefebvre. Le document se trouvait sur le bureau du Saint-Père. 

Mgr Hamer est intervenu personnellement auprès de Paul VI pour lui faire part de ce que je lui avais dit, et l’excommunication n’eut pas lieu. 

Mais, dès l’élection du Pape Jean-Paul Ier le dossier se retrouva de nouveau sur le bureau du Saint-Père, qui n’eut pas le temps d’étudier la question. 

Il se retrouva de même sur le bureau du Pape Jean-Paul II. Après s’être informé auprès de Mgr Hamer, et avoir étudié la question de près, Le Saint-Père convoqua Mgr Lefebvre, et eut un entretien d’une heure avec lui. Toutefois, sans succès, car l’entretien s’était déroulé en présence d’un témoin, Mgr Benelli futur Archevêque de Florence. Le compte-rendu de cet entretien présenté par Mgr Benelli fut refusé par Mgr Lefebvre, car il ne correspondait pas à ce qui avait été dit lors de l’entretien. 

Des relations furent plusieurs fois entreprises entre Rome et Ecône. La première eu lieu sur l’intervention de mes amis Saventhem, en accord avec Mgr Lefebvre. Ils m’avaient demandé de faire savoir à Mgr Hamer que Mgr Lefebvre était disposé à nouer des relations avec Rome pour étudier la situation de la Fraternité, et suite au rapport que j’en avais fait à Mgr Hamer, un premier contact entre Rome et Ecône avait été établi, par le Père Dhanis, Jésuite. Ces relations restèrent cependant au point mort pendant un certain temps.

*

*   *

J’ouvre ici une parenthèse, pour montrer par quelques anecdotes, que le Saint-Père n'a jamais été fermé à ces relations, et qu'il est toujours demeuré dans l'inquiétude de leur évolution.

J'eus la surprise et la joie, à l’occasion de mes 25 ans de Sacerdoce, d’être invité par le Pape Jean-Paul II, à concélébrer la Messe avec Lui, le 25 juin 1991. C'était alors, comme on l'a compris, après les sacres. Après la Messe, au lieu d’attendre que le Saint-Père n’arrivât pour saluer les prêtres et les fidèles présents, Mgr Dziwisz, Secrétaire personnel du Pape, me fit entrer dans la pièce où le Saint-Père était recueilli en prière : « Pour vous, c’est différent, c’est un grand jour, un Jubilé ».  

« Monseigneur Lefebvre ? On le poussera au schisme ! » (14 [fin])

Jubilé  Sacerdotal : « Je n’ai aucune nouvelle de la Fraternité… » 

J’eus ainsi l’occasion de parler avec le Pape Jean-Paul II pendant une bonne vingtaine de minutes. Il me dit très simplement : « Vous avez été Directeur à Ecône. Nous n’avons plus de contact avec Ecône, et je n’ai aucune nouvelle de la Fraternité. Je m’en remets à vous, car je voudrais bien voir régler cette situation délicate et douloureuse, pour le bien de tous ». 

« Monseigneur Lefebvre ? On le poussera au schisme ! » (14 [fin]) Jubilé  Sacerdotal : « Je m’en remets à vous… » 

Par chance, mes amis Saventhem venaient à Rome la semaine suivante. Tout en restant très liés à Mgr Lefebvre, ils ne l’avaient toutefois pas suivi dans le schisme. Ils me donnèrent toutes informations dont il disposait, leurs réflexions sur l’opportunité de laisser libre la célébration de la Messe selon le rite de Sant Pie V. J’envoyais alors une note Saint-Père qui, « étant donné l’importance des informations reçues, l’avait communiquée aux Dicastères compétents ». 

Il était aisé de constater que, déjà, on ne parlait plus alors d’excommunication à Rome. Le Cardinal Villot était mort en 1979. Le Cardinal Garrone était âgé et en retraite. Et puis, surtout, le Cardinal Ratzinger, qui était devenu Préfet du Saint-Office en 1981, exerçait à Rome une influence grandissante.

Je ferme cette parenthèse.

*

*          * 


Mais on n'en était pas là, loin s'en faut, au moment des premières relations. La question était alors celle-ci :


QUE FAUDRAIT-IL FAIRE POUR CONVAINCRE MGR LEFEBVRE DE NE PAS CONSACRER DES EVEQUES ? 

La question se posait de plus en plus à Rome, angoissante : Mgr Lefebvre consacrerait-il des Evêques ? J’en était persuadé, comme je l'ai dit, depuis novembre 1972. Les relations entre Rome et Ecône s’étaient dégradées notamment après la Rencontre interreligieuse d’Assise en 1986. Il y avait eu la suppression de la Fraternité par Mgr Mamie, puis la « suspense a divinis », après l’ordination de prêtres en 1976. Les années avaient passé, et Mgr Lefebvre était alors âgé de 81 ans ! Pourtant ni Mgr Lefebvre ni le Pape Jean-Paul II ne voulaient une rupture et ils tentaient de maintenir le dialogue. Le Cardinal Ratzinger était chargé d’une mission pour trouver une solution d’entente.  

Mais la probabilité de consécrations épiscopales devenait presque une certitude à court terme, si aucune solution n’était trouvée. 

Le 2 février 1988, jour de la Chandeleur, jour traditionnel où, en France l’on mange les crêpes en les faisant sauter à la poêle en tenant une monnaie d’or dans l’autre main, j’avais deux hôtes de marque, Monsieur et Madame Frossard, mes oncle et tante par adoption. Crêpes au sucre, crêpes à la confiture de mirabelles (spécialité de la Lorraine), crêpes flambées au Grand-Marnier. Le tout arrosé du vin préféré de mon oncle Frossard, un Cap de Mourlin grand cru classé. 

Tout en dégustant les crêpes, André Frossard me dit à brûle-pourpoint : « Le Saint-Père m’a chargé de vous demander ce qu’il pourrait faire pour que Monseigneur ne procédât pas à la consécration d’Evêques, ce qui serait dramatique, car il serait excommunié ipso facto latae sententiae ». 

Quelques mois auparavant, le Cardinal Ratzinger m’avais posé la même question, à la fin d’un dîner à Santa Maria Consolatrice, paroisse dont il était Cardinal Titulaire. 

Je donnais à André Frossard la même réponse que celle que j’avais donnée au Cardinal Ratzinger. 

« Je ne vois qu’une seule solution : que le Saint-Père invite Mgr Lefebvre à Castel Gandolfo, sans limite de temps, sans témoin. Qu’il le laisse vider son coeur, lui faire part de toutes ses critiques, de toutes ses perplexités, de toutes les questions qui le heurtent.

« Et ensuite, que le Saint-Père, non pas en accusé, car il est le Pape, mais en frère aîné qui confirme ses frères dans la foi, réponde à ses questions, en prenant le temps, en lui expliquant ce qu’il fait, pourquoi il le fait, quels sont les problèmes sous-jacents à ces questions.

« Et je suis persuadé, connaissant très bien son esprit profondément romain, que Mgr Lefebvre, rassuré et convaincu par le Pape Jean-Paul II, peut encore jouer un grand rôle dans la crise que traverse l’Eglise, en France notamment, et qu'il se jettera au pied du Saint-Père en lui disant : je suis à vos ordres !». 

André  Frossard rapporta fidèlement ces paroles au Saint-Père. Jean-Paul II lui en reparla quelques jours plus tard et lui dit : 

« J’ai toute confiance en votre neveu, qui a donné des preuves d’une très grande fidélité à l’Eglise, et surtout qui a connu personnellement et de près Mgr Lefebvre pendant trois ans ! Mais IL EST LE SEUL A ME DIRE CELA. Tous mes collaborateurs sans exception, y compris le Nonce en Suisse, m’affirment que c’est un chantage de la part de Mgr Lefebvre, et que, au dernier moment, il renoncera à consacrer des Evêques.

  « Seul contre tous, comme vous, dans le Figaro, Monsieur Frossard !...

  « Que dois-je faire ?... ». 

Le temps presse ? Et les choses se dégradent ensuite, car Mgr Lefebvre revient sur l’accord qu’il avait signé après des mois de négociations avec le Cardinal Ratzinger le 5 mai 1988, accord qui approuvait notamment le principe de la nomination d'un Evêque pour que l'œuvre de la Fraternité se maintienne. 

Quatre consécrations épiscopales sont prévues et organisées pour le 30 juin 1988. 

Le 29 juin 1998, le Saint-Père, se souvenant de mes « conseils » envoie à Ecône le Nonce Apostolique en Suisse, qui déclare à Mgr Lefebvre : « Voici ma voiture, elle est à votre disposition pour vous rendre à Rome ».

« Vous plaisantez, Excellence, répond Mgr Lefebvre. Qu’irais-je faire à Rome. Il y a des années que j’ai demandé d’être reçu personnellement par le Saint-Père, sans succès. Vous croyez que je vais aller à Rome pour rien, alors que les consécrations épiscopales auront lieu demain, et que les familles, les invités et de nombreux fidèles sont déjà sur place ?  Vous trouvez que votre démarche est raisonnable. Pour qui me prenez-vous ? ». 

Le 30 juin, Bernard Fellay, Bernard Tissier de Mallerais, Richard Williamson, et Alfonso Galaretta sont sacrés Evêques.  

Le lendemain, le Cardinal Gantin, Préfet de la Congrégation des Evêques, déclare que les quatre nouveaux Evêques, Mgr Lefebvre et Mgr de Castro Mayer, son-co-assistant consécrateur, sont frappés d’excommunication « latae sententiae ». 

« On le poussera au schisme » avait dit Mgr Ménager : c’était désormais chose faite ! 

Le jour même où le Cardinal Gantin constatait l’excommunication des différents Prélats, le Pape Jean-Paul II téléphona à André Frossard, et lui dit tout simplement, avec une immense tristesse :  

  

NOUS AVONS FAIT UNE SEULE ERREUR : NOUS N’AVONS PAS OSE CROIRE A CE que nous disait votre neveu. DITES-LE LUI DE MA PART ! ET COMBIEN JE REGRETTE DE N’AVOIR PAS SUIVI SES CONSEILS ». 
 


UNE QUESTION : POURQUOI  ? 

Mais pourquoi, oui pourquoi cet acharnement farouche et systématique des Evêques dans leur ensemble contre la Messe dite de Saint Pie V, sans craindre, en la supprimant, de voir s’ouvrir un schisme dans l’Eglise ? 

Que l’on nous dise ce qu’elle contenait de pernicieux, de contraire à la Foi de l’Eglise, à la Tradition de l’Eglise ! 

Pourquoi ? N’a-t-elle pas été la Messe du saint Curé d’Ars, par exemple et de nombreux autres saints prêtres au long des siècles ? 

Que voulait-on détruire ? Qui voulait-on détruire ? Pourquoi voulait-on détruire ? La question peut se poser légitimement ! 

Que cache, que pourrait bien cacher cet acharnement farouche qui amena, par exemple, le Cardinal Garrone (lors d’une des deux réunions qui se sont tenues à Rome entre les Cardinaux Garrone, Wright et Tabera, et Monseigneur Lefebvre au mois de mars 1975), hors de lui, perdant tout contrôle, à « traiter de fou » Mgr Lefebvre devant sa volonté de maintenir la Liturgie Tridentine dans la Fraternité (sic ! Témoignage direct donné par Mgr Lefebvre, outré, à mes amis Saventhem), en l’accusant, par cette attitude, d’introduire un schisme dans l’Eglise ? Ces réunions, suivies d’une Lettre adressée à Mgr Mamie avaient entraîné la Suppression de la Fraternité Saint Pie X.

Dans la Lettre adressée à Mgr Lefebvre, en date du 6 mai 1975, le Cardinal Garrone n’hésitait pourtant pas à écrire :  

« Nous vous restons très reconnaissants du climat fraternel dans lequel ont pu se dérouler nos récents entretiens, sans que les divergences de nos jugements aient jamais compromis entre nous une communion profonde et sereine ». 

Pour autant, le compte-rendu des entretiens, qui avaient été enregistrés, n’a jamais été publié, et n’a jamais été remis à Mgr Lefebvre, malgré ses demandes réitérées et ses protestations ! (Déclarations de Mgr Lefebvre à mes amis Saventhem). Il est aisé d’en comprendre la raison, ou les raisons. 
 
 

Pourtant, la Messe dite de saint Pie V n'a jamais été abolie, comme l'établit la Lettre du Pape Benoît XVI aux évêques, accompagnant le « Motu Proprio » (7 juillet 2007). 

Le Souverain Pontife y déclare clairement :  

  « Quant à l’usage du Missel de 1962, comme Forma extraordinaria de la Liturgie de la Messe, je voudrais attirer l’attention sur le fait que ce Missel n’a jamais été juridiquement abrogé, et que par conséquent, en principe, il est toujours resté autorisé ». 

 

  Le texte du « Motu proprio » déclare en effet clairement :  

« Il est donc permis de célébrer le Sacrifice de la Messe suivant l’édition type du Missel romain promulgué par le B. Jean XXIII en 1962 et jamais abrogé, en tant que forme extraordinaire de la Liturgie de l’Église… ». 

  

Voici l’original en latin de ce document : 

  « Proinde Missae Sacrificium, iuxta editionem typicam Missalis Romani a B. Ioanne XXIII anno 1962 promulgatam et numquam abrogatam, uti formam extraordinariam Liturgiae Ecclesiae, celebrare licet… ». 

 

Notre Saint-Père, le Pape Benoît XVI mettait ainsi un point final, et apportait un démenti officiel, aux affirmations erronées et partisanes, aux accusations mensongères et calomnieuses (comme celles formulées à l’assemblée de Lourdes). Une grande partie de l’Episcopat notamment, opposée farouchement à Mgr Lefebvre et recourant même à des procédés malhonnêtes, les Evêques français en particulier, s’était servi de cet argument comme argument premier et principal pour accuser Mgr Lefebvre de désobéissance à l’égard de Paul VI et du Concile, et obtenir sa condamnation, et notamment la suppression de la Fraternité Saint Pie X par Mgr Mamie Evêque de Lausanne Fribourg et Genève en 1975, la suspense « a divinis » en 1976, ce qui avait amené le Supérieur de la Fraternité Saint Pie X a procéder à la consécration de 4 Evêques, entraînant ainsi l’excommunication des différents Prélats consacrés et de leur Supérieur, et un schisme dont l’Eglise aurait pu se dispenser.

Mgr Ménager l’avait bien dit dès 1971 : OU BIEN IL OBEIRA AU PAPE EN DISANT LA NOUVELLE MESSE, OU BIEN NOUS LE POUSSERONS AU SCHISME ! ». 

Ils ont tout fait, nous l’avons vu ; Ils y sont parvenus, hélas ! trois fois hélas ! Dieu reconnaîtra les siens ! 

Mais comme le disait le Pape Paul VI, ce Lundi de Pentecôte 1970, découvrant la suppression de l’Octave de la Pentecôte : « PORTAE INFERI NON PREVALEBUNT ». 

  CARITAS IN VERITATE, VERITAS IN CARITATE

  MERCI TRES SAINT-PERE !
  « Monseigneur Lefebvre ? On le poussera au schisme ! » (14 [fin])
 
 

En guise de conclusion :


Celui qui a vu en rend témoignage,

un authentique témoignage,

et il sait qu’il dit vrai,

pour vous aussi vous croyiez

(cf. Jean 19,35) 

Qu’il en fut bien ainsi 
 

Rome, le 15 septembre 2009

Fête de Notre-Dame des Sept Douleurs 

Mgr Jacques Masson

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