Si Nathalie cherche à se divertir avec un Banco, c'est qu'une préoccupation sombre la travaille, qu'elle voudrait pouvoir fuir.
Depuis quelques jours, Julie, sa fille aînée, ne parle plus. Elle est là, elle participe aux repas, débarasse son assiette, puis s'en va dans sa chambre et on ne la revoit plus de la soirée. Elle
est là, mais elle est hors d'atteinte.
Aucun conflit ouvert à signaler ces derniers jours, pourtant.
A peine, sur le visage de Julie, une pointe d'agacement l'autre jour, quand Nathalie lui a rendu ses clés qu'elle avait emporté par mégarde.
Cela suffit-il à provoquer un tel mutisme?
Nathalie cherche une autre cause. Elle interroge Julie. Plusieurs fois elle tente :
- Mais qu'est-ce t'as?
- Rien, rien (sur un ton, selon les moments, nonchalant ou exaspéré)
Nathalie se demande quoi faire. Elle a conscience que sa réaction ne peut être la même selon ce que le silence recouvre. Mentalement, elle construit un arbre de décision. Elle tente de sérier les hypothèses, de mettre en face de chacune d'elle une réaction appropriée.
Elle en déduit trois stratégies d'action possibles :
- consulter un médecin
- ne rien dire, ne rien faire, ça va passer tout seul
- la laisser venir avant d'agir
Elle mesure l'absurdité d'emmener sa fille chez le médecin sans aucune conversation préalable. Or, c'est justement cela qui est impossible. Elle se rabat donc sur "ça va passer tout seul" ou bien
"la laisser venir avant d'agir", ce qui revient au même, une position d'attente, un "ne rien faire" craintif, car si jamais c'était grave?
Mettons, par exemple, qu'elle ne soit pas malade. Mettons qu'elle cache quelque chose. Mettons que ce soit grave. Mettons qu'elle ne soit pas enceinte. Mettons qu'elle ne se drogue pas. Mettons
qu'elle ne soit pas prête à en parler. Est-ce que vraiment, ça va passer tout seul?