Je fais mon premier récit en bande dessinée à l'âge de 18-19 ans, après avoir découvert la peinture, un récit de 50 pages aux accents poétiques et métaphysiques. J'adapte ça d'un de mes premiers
textes. C'est un travail qui a l'époque était jugé trop littéraire et sans doute trop expérimental (c'est les débuts de l'association). Un dessin à la plume et au brou de noix sur du kraft avec
des réhauts de blanc. Envoi aux éditeurs, pas de réponse / refus. Courrier encourageant des jeunes éditions paquet qui salue l'aspect plastique mais qui juge que le projet n'est pas assez
"commercial".
Je suis étudiant. Je continue à monter des projets à mes heures perdues. Un récit de 75 pages en couleurs directes date de cette époque (réalisé sur deux ou trois années), je persiste à oeuvrer
pour mon seul plaisir (en ignorant à peu près tout des réalités de l'édition, des contraintes d'impression, de format).
Je rencontre le directeur éditorial de Milan (qui avait travaillé auparant pour Futuropolis, pemière mouture). Il regarde mes planches, à la fois épaté et consterné (faire 70 planches et poser ça
sur son bureau, comme si c'était un déploiement de force énorme et inutile). Il me dit que c'est très beau mais qu'il appelle pas ça de la bande dessinée, plutôt de l'art. Que ce sera peut-être
apprécié dans dix ans, mais là ça rentre pas dans le "cadre".
Je me rend compte que je suis en marge (même de la marge), les indés sortant du noir et blanc principalement et moi avec mes trucs en couleurs. Avec des prétentions de révolutionner ce médium,
inventer une nouvelle façon de faire, des variations de techniques toutes les trois pages, des compositions atypiques, l'ambition de vouloir faire de la peinture avec la bédé, prouver qu'elle
vaut bien d'autres types d'oeuvres...
Bref, je poursuis mes études. Continue à creuser mon sillon, avec un refus de tous compromis, centré sur ma seule envie, sans rapport avec d'autres auteurs. Je suis seul dans mon bocal et je
tourne...
Je me rend compte qu'il a falloir aller vers les autres (éditeurs, auteurs, public) si je veux que mes contorsions aient un sens. Mes boulots dorment dans des cartons, je fais tout de même
quelques expositions (notamment au festival de Collomiers). Je reçoit quelques échos très encourageants mais pas d'éditeur en vue.
Je me décide de participer au concours jeunes talents, sur le conseil d'un collègue prof (et oui j'ai pris le parti de rester libre mais de pouvoir "manger"), j'enseigne les arts appliqués.
Premier contact avec la directrice artistique d'un "autre journal" (de Karl Zero) à la suite de l'expo. Elle change de job, pas de suite...
Deux autres participations à jeunes talents, planches exposées : pas de contact.
Je prend le taureau par les cornes, crée un micro label pour m'éditer (puisque je suis seul à croire à mes productions. Un dépliant, livre-objet (que le comptoir des indépendants refusera de
diffuser (pas facile à "ranger" dans les étagères (décidément!). J'envoie un exemplaire à Benoit Jacques qui me fais la gentillesse de répondre, me soutient et m'encourage vivement à continuer
l'aventure en solitaire, comme lui.
Je sympathise avec l'association café creed, il m'invite à présenter mon travail d'auto-édition sur leur stand.
Je rencontre David Benito, scénariste et Tristan Lagrange "Tristoon".
Vient la mode des blogs. Je me dis, allez pourquoi pas. Quitte à pas gagner d'oseille avec mes ovnis, autant montrer "gratuitement" mon boulot plutôt que le laiser dans les cartons. Peut-être
qu'une marge du public se retrouvera dans ce que je fais... Peut-être qu'un éditeur sera séduit (le conte pour enfant avec les princes et princesses tout ça). Bref.
Je me mets parallèlement à dessiner dehors, dans des carnets, stimulés par la pratique de l'aquarelle d'un ami.
Se faire l'oeil et la main.
Je crée donc un blog (les carnets de monsieur b), je prend un pseudo car je souhaite bien séparer mon activité de prof et ma pratique dessinée. Et par jeu, de toute façon personne me
connaît...
Je poste de nombreux croquis, plus des projets pas édités (ça va j'ai de la matière sous le coude!).
Je prend plaisir à ce nouveau mode de diffusion, réactions encourageantes,remarques, questions, dialogues... Je rencontre le travail de certain et ses certains eux-mêmes aussi parfois. Des liens
se créent (à tous les sens du terme).
François Matton , Roskö, Soluto, Lapin, Anem, Chambrun...
Je poste une bande dessinée en intégralité sur le site webcomics (la fameuse couleur directe), puis je suis accepté sur le site grandpapier.
Les débuts sont raides, il y a apparemment une coutume belge proche du bizutage, pas mals d'auteurs se connaissent et font parfois bloc contre certains aspects de mon travail, mais j'insiste. Au
final, je gagne une forme de respectabilité, les commentaires sont moins mordants., sans toutefois jouir d'une mise en avant énorme : je ne serais mis en bannières du site qu'au début avec
l'homme sans tête, puis plus du tout (il est vexé, si si).
Puis, un certain Wandrille se met dans la tête de me nominer dans sa sélection prix blogs bd (malgré mes faibles commentaires et mon nombre de visite dérisoire comme il me l'a taquinement
précisé). Mes statistiques s'en ressentent quand même et permet sans doute à certains de me découvrir. Je rencontre donc cette grande chose remuante et attachante. Je me retrouve à la soirée de
remise des prix et calcule à quel point je suis en déphasage avec cette géné blog bd. Pas le même humour, pas le goût à jouer à guitar hero, pas le même âge aussi (pour la plupart). Ce qui ne
m'empêche pas d'estimer certains auteurs issus de ce vivier mais je sens que là n'est pas ma place (il faut savoir ce qu'on veut, là je sens qu'on va me prendre pour un con qui se croit au
-dessus du lot, mais non j'essaie au mieux d'assumer ma différence).
Toute cette "geekitude" me donne furieusement envie d'avancer à visage découvert et d'abandonner le pseudo de mister B qui me fatigue. Je me montre sous mon vrai nom.
David Benito me propose de faire un petit récit pour le Choco Creed 7 alors que je suis à Prague en vacances, en me prévenant que je n'ai qu'une quinzaine de jours grosso modo (pour remplacer un
auteur qui s'est désisté). Je relève le défi, content de pouvoir renvoyer la balle au collectif, à Tristan et David pour leur soutien de longue date. Très content aussi de pouvoir faire 6 pages
en couleurs (une première) et d'être membre du "team" légendaire.
Dans la lancée je m'inscris aux 24h de la bd dans la catégorie "pro", misant sur le fait que je figure dans un recueil.Je suis pris. Je participe à l'épreuve à la maison des auteurs. Mes 24
planches encore chaudes, je les présente à Alain Beaulet en début de festival. Il est séduit et le publie dans sa collection "les petits carnets".
Au même moment, j'intègre l'atelier du gratin (avec haute teneur en talents : Benoit Preteseille, PatCab, Laurent Bourlaud, Alexandre Clérisse, Mylène Rigaudie, Nicolas Gazeau, Marie de
Monti).
Grâce à un ancien étudiant et musicien, Florian M, je rencontre le groupe Coup d'marron qui cherche un dessinateur pour créer une bd à partir d'une de leur chanson. Je travaille avec Wilfried
Hildebrandt (chanteur et parolier) sur ce projet fou (44 pages en couleur, album cartonné à faire en 5 mois avec un style réaliste- style que je n'ai jamais vraiment utilisé en récit). Je relève
le défi, me disant que je travaille vite. Mon été y passera, ça n'est quand même pas une mince affaire. Je veux me prouver que je peux le faire, ayant malgré tout une expérience à défaut d'une
longue biblio. Je me sens de plus en plus auteur et créateur. A ma place. Avec pleins de nouveaux projets palpitants en musique et en livre. Je rêve toujours de peindre. et de toujours plus
dessiner. Bref je suis heureux. Parce que tout est possible.