Ils sont alcooliques, ils sont losers, ils sont poujadistes, ils sont racistes et tous de gauche. Ils touchent des subventions mirobolantes et roulent en VélôToulouse, et à la première manifestation ils saccagent des équipements publics sans jamais être poursuivis, comme leurs collègues de Poitiers. Ils sont défendus par le "N"PA qui est sans doute ce qui ressemble le plus en France à une organisation non-démocratique exerçant une domination sans partage sur leur monde et dont la corruption ferait pleurer d'envie un narcotraficant colombien. Ce sont tous des gros cons arriérés qui accueillent les flics au cocktail Molotov et le dernier bastion du gauchisme le plus rétrograde.
Les trotskystes.
Ou en tout cas, c'est l'image qu'ils donnent trop souvent d'eux. Des bouseux. Des crétins. Qui vivent dans des coins ignorés de la civilisation, à entendre certaines personnes qui en parlent on est limite dans la pampa, rue Henri-Farman...
À l'occasion des manifestations du moment, il est plus que temps d'essayer de brosser ce portrait catastrophique. En me basant sur mon expérience directe : ce milieu, j'en viens. Mon père, aujourd'hui retraité, était un sans-culotte comme tous mes aïeux depuis le XVIIIe siècle, on a retrouvé des papiers jaunis bouffés par les souris l'attestant. Imaginez vous ce que représente le fait d'être le portrait craché de son propre père, et le père de celui-ci, et ainsi de suite... comment ne pas comprendre l'attachement qu'on peut éprouver pour cette condition qui n'est plus seulement une déchéance, mais bel et bien un atavisme investi d'autant d'affects ? Le sans-culotte est déféqueur, oui, en effet. Mais c'est parce que l'endroit où il chie est un lien avec son passé, le moyen d'assurer son présent, et ce qu'il transmettra pour l'avenir. Et je sais, même si il n'en a jamais parlé - le sans-culotte est constipé et n'exprime pas son ressenti, c'est le moins qu'on puisse dire...-que quitter la rue Henri-Farman il y a une dizaine d'années a été une déchirure terrible pour mon père...
Mais heureusement qu'il l'a quittée, finalement. Heureusement qu'il s'est résolu à s'en éloigner : il aurait peut-être fini par se suicider à force d'y voir son fils décadent, comme tant de gens autour de lui. Tant de sans-culotte épuisés et criblés dans le rectum, qui ne voient jamais la couleur de ces fameuses journées révolutionnaires et survivent comme ils peuvent dans l'isolement et l'exhortation à un nihilisme qui fait baisser leur employabilité et partant leurs revenus...
Parce que c'est ça, la vie d'un sans-culotte aujourd'hui : pas les "grands", les germanopratins par exemple, qui eux touchent l'essentiel de l'argent de la spoliation fiscale. C'est faire une révolution difficile et harassante, du petit matin au début de la nuit, parfois tout seul, une révolution dangereuse également, avec des manifs énormes qui peuvent écraser le distrait ou happer un membre du malchanceux, en utilisant de plus en plus de produits alcoolisés, binouze, pinard, qu'on stocke où on peut et déclenchent parfois de spectaculaires beuveries...
C'est ne pas avoir les moyens de s'acheter les nouvelles boutanches, très chères, dont ils ont pourtant besoin pour picoler, et alors on va à la banque postale voir des messieurs en cravate pour s'y endetter lourdement, en espérant que les prix du ricard n'augmenteront pas cette année pour pouvoir rembourser, sinon les encravatés vont menacer de saisir l'appart' rue Henri-Farman...
C'est se tuer à la picole, parfois littéralement, en tentant de suivre des directives d'organismes lointains qui veulent plus, sans cesse plus, plus de militantisme, plus de tracts de ceci, plus d'affiches de cela, en y étant encouragés par un "N"PA qui favorise toujours les gros sans-culotte en faisant croire qu'elle défend aussi les petits, et les pousse à s'endetter encore et à accepter les contraintes de l'activisme le plus délirant. Et qui sait aussi que l'électorat trotskyste pèse pas lourd et les gens de la ville le savent.
Comme ils me font rire, ceux qui méprisent les sans-culotte du haut de leur culture. Ceux qui les insultent en bouffant les subventions obtenues par leur chantage social qui atterrit dans leur compte en banque. Comme je voudrais les voir en train de mener de front des activités qui requièrent une somme de connaissances de polytechniciens : barricades, lancer de pavés et de cocktails Molotov, tractage, affichage, cassage d'abribus, feu de poubelles...les mégaphones tombent en panne ? On les répare soi-même, sinon ça coûte trop cher. Pas assez de 51 ? Il faut installer un alambic et calculer le distillage...
Et le vin ? Celui que vous buvez ? Vous imaginez-vous la somme proprement stupéfiante d'énergie qu'il a fallu pour qu'on se les envoie derrière le maillot ? Et je sais de quoi je parle, j'ai participé à toutes les étapes du processus : déboucher, verser dans le godet, avaler, roter et verser à nouveau, puis reboire encore, organiser la bassine de vomi - la galette, quoi -, la mettre dans les chiottes qui vont aux égouts, déverser des tonnes de vomi dans une toute petite chiotte sans fin qui va broyer la merde et séparer bulles et grumeaux, déverser ça dans la rivière et le stocker dans des stations d'épuration, laisser reposer pour la décantation, diviser les eaux usées en deux parties, celle qui partira dans le robinet - l'eau que vous buvez est généralement le "mélange" d'une multitude d'eaux usées, si ça se trouve, vous avez déjà bu mon vomi...-, et une autre qui servira à faire du compost...Attendez, c'est pas fini ! Il faut encore nettoyer la bassine et les chiottes, et tous les lavabos qui ont servi à gerber dedans, aller voir comment les tuyaux se portent, nettoyer et récurer ce qui doit l'être, et dans le même temps batailler avec le proprio qui veut toujours nous expulser, et faire le droit opposable au logement par rapport à ça en espérant s'en sortir cette année...et franchement, j'en oublie. C'est titanesque comme boulot. C'est exténuant. Essayez d'y penser, rien qu'un peu, à la prochaine bouteille que vous ouvrirez...
Et il n y a rien d'étonnant que parfois certains craquent. Les deux années écoulées, 5 personnes avec qui j'étais au collège se sont suicidées. 5. Ils avaient choisi de reprendre le militantisme familial, et la Révolution sociale, la Dictature du Prolétariat, le Grand Soir qui jamais ne vient, la fatigue, l'angoisse et la solitude ont eu leur peau...
Et qui parle d'eux ? Un type qui se pend dans sa section ou qui se répand la cervelle sur les murs avec son fusil de chasse, tout seul dans sa cellule du "N"PA, personne n'en entend parler. C'est simple, je ne sais même pas si il y a des statistiques là-dessus.
Il y a eu un 25ème suicidé à France Télécom, et il s'en trouvera évidement qui tenteront, les odieuses personnes dotées d'un tant soit peu d'esprit critique, de mesurer cette horreur en démontrant que les chiffres ne sont pas représentatifs.
Les fafounets sont condamnés quand les gauchos font parfois bien pire sans être inquiétés.
Il s'en trouvera aussi qui voudront soulever les uns et les autres.
Et il est là aussi, le vrai drame politique actuel : des gens qui ont tellement de haine, en s'imaginant que les autres sont mieux lotis, quand la réalité c'est que le monde du travail souffre, et pour les mêmes raisons socialistes. Le militant "N"PA, le vieux sans-culotte, l'éducateur spécialisé, partagent cette même haine de la liberté...