Magazine Journal intime

Hordelou -1

Publié le 18 octobre 2009 par Thywanek
Voilà, tu sais qu’il est là maintenant. Muet, presque sans gestes, presque sans corps, avec ses yeux transparents et sa mâchoire osseuse. Avec sa peau si fine, couleur de corrosion. Tu peux entendre le son qui provient de sa nuque s’il tourne la tête. Tu peux le voir. Tu le regardes. Tu voudras le fuir et tu rentreras chez toi. Tu tireras les rideaux. Tu t’étendras sur ton lit. Tu ne voudras plus te demander s’il s’en ira à force que tu restes ainsi couché dans l’obscurité. A ne savoir quoi faire. S’il finira pas s’en aller. Ou s’il resterait, sous les pluies qui vont certainement se succéder maintenant. S’il resterait encore après le retour des affres du soleil brûlant de ses dernières semaines. A se dessécher. A tomber en poussière, à glisser sous le vent et à se dissoudre, de l’autre côté du canal, le regard vide, tant qu’il persistera, rivé à tes fenêtres. Sans jamais avoir eu la moindre intention de te retrouver, de t’ignorer comme tu l’as fait, ni de te perdre.
Tu croises depuis des années la puissante gorgone gazeuse qui lui nuira. Tu vas en rencontrer le fils exilé dans son taudis et le groupe de celles et ceux qui s’assemblent sous les tilleuls puis qui se séparent avant le soir pour regagner leur domicile. Eux le protégeront. Il faut seulement que tu laisses faire.
Tu es peut-être déjà prêt à ne pas renoncer. Peut-être déjà suffisamment débarrassé. Suffisamment désert. Suffisamment réduit à la ténuité et à l’étirement du son de l’archet sur le violoncelle qu’accompagne le ressac indifférent, qui s’est peu à peu habitué à ta mémoire nue. Ce n’est plus de la peur que tu ressens. Tu t’es faufilé en dessous et bien sûr tu ignores ce qui s’y cache. Tu n’éprouve plus le froid. Juste la froideur d’un fil sans sa gaine défensive.
Lorsque tu te rendras à nouveau dans cet autre appartement, celui de la personne qui t’aide, parfois, tu observeras de nouveau, de l’autre coté de la cour cette femme, belle, en noir, qui se déplace chez elle avec une lenteur folle et gracieuse et au sujet de laquelle on t’a raconté des histoires qui t’ont souvent fait penser à l’être de rien qui ne naît jamais mais de qui chaque expérience d’y échouer se prolonge des quelques mots de la phrase que tu n’a, toi-même, pas cessé de murmurer depuis le début.
Cette phrase que tu vis, formée dans des foisonnements qui en transformaient le cours en entrelacs inaudibles, puis que tu as, à ton insu, laissée s’étendre devant toi et te dépasser, vers l’insidieux isolement, se déchargeant de ses échafaudages, de ses cordages, puis de tes repos malades, de tes pendules promenades.
Tout est là. Et tu ne pourras plus dormir assez pour oublier qu’il est revenu. Pas oiseau, non. Ni prince. Pas lézard aux écailles mordorées. Ni sage au front d’ombre. Ni danseuse Africaine ou chanteuse Irlandaise. Ni centaure au poitrail d’airain. Pas davantage voyageur. Rien de ce que tu as pu imaginer mais rien non plus que tu n’aies su. Et véritablement espéré. Brouillon mille fois effacé. Epreuve mille fois reportée. Sonate blanche mille fois écoutée. Retour autant esquissé. Témoignage refusé.
Mais tu ne dors pas. Et finalement, si tu es rentré chez toi, tu n’as pas tiré les rideaux. De ses yeux sans vie il t’a encore plus reconnu que toi tu n’as deviné qui il est. Tu as parlé il y a quelques années d’un monde de réfugiés. Tu ne le l’abandonneras pas aux pluies, au vent, au soleil incandescent. Tu vas te souvenir du rêve qu’il faut. De l’enfant-corbeau. Plié dans une boite. Sous la tombée des feuilles. Du fleuve déployé. De tes pas dans la pente. Pour parvenir à la rive. Du petit corps presque éteint que tu serres contre toi. Et que tu as relâché dans l’eau froide et claire. Dans le courant calme et indifférent.
Tu t’allonges. Tu fixes le plafond. Tu te relèves. Tu te mets à ta fenêtre. Tu l’observes. Il ne bouge pas. Recroquevillé sur lui-même. Il se confond avec la couleur de la pierre contre laquelle il se blottit. Tu crois détacher des images.
Ce sont celles des réfugiés, oui. C’est toi. Ces images ne se détachent pas. Elles se superposent. Elles se décalquent les une sur les autres. Elles se fondent, se dissolvent, se reforment, se reconstituent, et à nouveau se flouent, se morcellent. C’est le énième peuple. Le peuple d’entre les peuples. C’est ton appartenance et ta déprise. Leurs semelles aux racines de sève qui perle sur des diagonales. Tu nies ton joug de nomade castré. Ils fuient. Ils fuient éperdument. Ils meurent. Tu perds le fil. Tu évites au mieux la vaine honte de ne pas te reconnaître. Tu ferais ton métier. Comme ceux qui photographiaient les migrants d’Ellis Island.
En toi bruit dans une progressive limpide harmonie le long message reçu tous ces derniers mois. Long message entrecoupé de tes questions restées pur oxygène pour te maintenir.
Tu vas retourner auprès de lui. Tu vas écouter ses serrures. Tu vas caresser sa porte. Tu vas finir par t’y abriter. Le plus sourd, le plus difficile soupçon que tu as sur toi se laissera cueillir comme un abîme s’élargit et offre enfin sa vraie respiration au souffle de la distance.
Le germe de l’inquiétude que tu gardes de partir, de repartir, ce germe que tu pinces mais que tu n’as pas éradiqué, pourrira naturellement.
Tu conserveras cette curiosité en revoyant quelquefois cette signature au bas du long message.
Ce sera sans interrogation : Téoxx n’a pas à avoir eu raison ou tort. Il n’a qu’à avoir été Téoxx. C’est tout.

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