Avec le MomoLe billet de Nestor

Publié le 19 octobre 2009 par Angèle Paoli
Le billet hebdomadaire de Nestor (2)

Image, G.AdC
AVEC LE MOMO


     Car ce qui nous est donné par ce contact à distance n'est pas seulement image. Cette Image dont la fascination est passion égarée. Ineffaçable. Close. Qu'il serait vain de chercher dans une parole autre, laquelle d'aucune façon ne saurait éclore faute de ce lieu. Celui que les esprits positifs appellent la cause perdue. De cette échelle renversée, hors soumission, à jamais. Où le bruit ne s'éveille que par la « faute » des autres.

     Celui qui partout s'écroule, vous pouvez détourner le regard, murer son coin d'ombre : il est souverainement hors d'atteinte. Hors de cette « cage de La Balue » des heures.

     Fête consommée, drôle de fête, là où le sens des choses s'effondre dans leur image ; lumière neutre, où toute affirmation menace de surgir de l'œil qu'on ne voit pas, quand il n'y a plus de monde, quand il n'y a pas encore de monde...

     Moment vertigineux où, avec Antonin l'envoûté et comme lui disjoint, tu te dérobes enfin au décalque du spasme qui seul limite. A cette défaite qui, de tous côtés, traine ses bruits, ses chaînes, ses foules. A l'ancienne science, enfin de face regardée, puisque rien n'est perdu de qui s'éparpille, comme ces enfants s'approchant, silencieux et arqués, à l'heure des choix...

     Prière où la lumière ne varie pas, drôle de prière. Qu'on fasse de nous des hoquets du langage sans amarres. Des vecteurs non orientés. Que les rumeurs s'écartent. Qu'advienne l'heure. L'enlisée. La toujours future. La ralentie, d'où toute trahison fut bannie – car se dissimuler à elle, c'est se cacher en elle. En ce lieu où tout est « définitivement garé », en cette paresse enfin sans signes. Pour laquelle ne se déshabille que l'autre nuit. Celle qui n'accueille pas, plus inaccessible que ce château intact où toutes les issues sont gardées – car l'atteindre serait respirer le dehors, rester hors d'elle, à jamais s'oublier en elle...

     Automne des éclats. (Ses atours, fêlés, sous le regard des murailles). Envie de migrations avec, dedans, l'appel, ou la pénombre... Car elle n'est pas sûre, l'autre nuit. Et nous le savons. Elle, cette mort qu'on ne trouve pas, est sans vérité, et cependant ne ment pas. Vide, lèvres vides entre deux plis. Dans la lumière verte, dans le sel que silence parfait. Ni adultes, ni achevés, pourtant. Toujours sans fausses liesses. Jamais fertiles de sources. Car si la plus longue incandescence se retirait du bout des îles, si les éraflures se faisaient plus lentes encore, s'il n'y avait vraiment plus rien à renvoyer, il resterait ce pré à saisir, clos en tous, aux trames interdites, en plein éveil. « Cela a été une fois, jamais plus » n'a plus cours ; car ce qui dans le reversement clame, nous dit que cela n'a jamais eu lieu, là, une première fois, que cela à nouveau, et indéfiniment, recommence.

     Dans ce qui revient, que tu ne connais pas, que jamais ne connaîtras, mais que tu reconnais, tu t'effondres, comme il se doit ; mais ta dépouille est ce temps bien réel où la mort ne cesse d'arriver, comme si, approchant, elle rendrait lumineusement stérile la nudité et les froid des temps par lesquels, n'importe quand, elle pourrait arriver...

     On se referme alors, à l'abri des parcours, tenus par la promesse du sommeil, dans la fatigue de la respiration, purement, à la dérive. Là où se fait l'échange, où l'on pourra guérir de l'ancien dédoublement, avant de s'ouvrir, à l'écart de tous rites, à l'incessant minuit. Là où glissent, pressentis, étouffés, les fleuves, ces lents condors aveugles...

     Fini des silures l'intouchable. C'est sur une plage imprévue que tu tournais, muet jusqu'à la chute. Il n'est pas recueillement ton silence, Antonin, et c'est sans un regard de trop que l'on glisse dans le risque de ta solitude. Dans l'appel où la grande opaque t'attire, non pour te mettre à l'épreuve, mais afin qu'à jamais tu y joues ta chance. La nôtre. La vôtre, à l'heure où tous les cris s'entassent en elle.

     « Si incroyable que cela paraisse, les Indiens Tarahumaras vivent comme s'ils étaient morts […] Ils ne voient pas la réalité et tirent des forces magiques du mépris qu'ils ont pour la civilisation. Ils viennent quelquefois dans les villes, poussés par je ne sais quelle envie de bouger, voir, disent-ils, ‘comment sont les hommes qui se sont trompés’ ».


André Rougier
D.R. Texte André Rougier


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