Ses «Ecrits sur les Noirs» enfin rassemblés,Béni soit l’abbé Grégoire

Publié le 19 octobre 2009 par 509

Ses «Ecrits sur les Noirs» enfin rassemblés,Béni soit l’abbé Grégoire
PAR JEAN MÉTELLUS
Grande figure de la Révolution française, Henri Grégoire mena une lutte acharnée contre la traite et l’esclavage des Noirs et contre tous les préjugés qui défigurent l’humanité
Le combat antiségrégationniste ne se divise pas. Tel pourrait être le résumé de l’œuvre et de l’action de l’abbé Grégoire. Telle est, en tout cas, la forte évidence qui s’impose à la lecture de ses «Ecrits sur les Noirs». A une époque où réunions, colloques et publications se multiplient pour analyser les comportements des hommes et des Etats envers d’autres hommes et d’autres Etats, où les plus favorisés semblent jeter un regard attendri sur ceux qui ont été des victimes, mais où règne encore une certaine confusion, les réflexions de l’abbé Grégoire nous invitent à méditer sérieusement sur les mobiles des uns et des autre Henri Grégoire (1750-1831) a commencé à lutter vers le milieu du XVIIIe siècle contre la traite et l’esclavage, pour toutes les libertés humaines, dans l’espoir de contribuer et d’assister au «triomphe de la religion, de la vertu, de la liberté». Deux siècles et demi plus tard, ce combat reste malheureusement d’actualité. Il est plus que jamais évident que l’évolution des sociétés ne s’effectue qu’avec une lenteur désespérante.
Lors des cérémonies consacrées à l’abolition de l’esclavage, la plupart des conférenciers et organisateurs omettent systématiquement de mentionner le décret de la Convention en date du 4 février 1794, qui entérine les décisions prises le 29 août 1793 à Saint-Domingue par Sonthonax, commissaire de la République française, et Toussaint Louverture. Or c’est la première fois que «le principe est acquis de l’abolition de l’esclavage sur toute terre française». Et comme l’écrira C. L. R. James dans «les Jacobins noirs», c’est grâce à la persévérance de Grégoire que, dans l’enthousiasme général, «la Convention nationale déclare l’esclavage aboli dans toutes les colonies. Elle déclare en conséquence que tous les hommes sans distinction de couleur, domiciliés aux colonies, sont des citoyens français et jouissent de tous les droits garantis par la Constitution».
Cependant on oublie - ou on veut oublier - que Toussaint Louverture, par la victoire des esclaves sur les colons français, a aidé la cause du progrès en France et dans le monde.

«C. L. R. James, rappelle Yves Benot dans son ouvrage «les Lumières, l’esclavage, la colonisation», avait déjà souligné que l’insurrection des esclaves à Saint-Domingue avait obligé la Révolution française à devenir enfin ce qu’elle était par l’abolition de l’esclavage; de même l’Haïti indépendante devient une barrière contre le flot montant des théories racialistes et des racismes tout court.» C’est pourquoi Grégoire a pu écrire : «Haïti est un phare élevé sur les Antilles vers lequel les esclaves et leurs maîtres, les opprimés, les oppresseurs tournent leurs regards, ceuxlà en soupirant, ceux-ci en rugissant... On voit approcher l’époque où le soleil en Amérique n’éclairera que des hommes libres, où ses rayons ne tomberont plus sur des fers et des esclaves.» Et, commentant ces propos, Yves Benot écrit: «Ce phare, selon l’expression de Grégoire, proclame à distance l’égalité et la fraternité universelles: la liberté, ils ne l’ont pas conquise pour eux seuls.» Il n’y a aucune raison d’occulter l’œuvre de Toussaint Louverture et sa participation à la libération universelle, ni d’ironiser sur Lamartine écrivant dans sa pièce de théâtre sur Toussaint Louverture: «Cet homme est une nation.»
Grégoire a lutté contre tous les racismes, toutes les exclusions. Défenseur infatigable des juifs et des Noirs, il reste un exemple pour tous ceux qui participent aux justes combats des opprimés dans toutes les sociétés. Son plaidoyer ardent contre l’esclavage des Noirs, son enthousiasme devant l’indépendance d’Haïti, ses nombreuses interventions écrites ou orales dans le champ politique malgré quelques maladresses, somme toute vénielles, sont toujours et encore sources d’arguments pour contrer le racisme systématisé que des plumes comme celles de Broca ou de Renan ont tenté de justifier. Et Grégoire peut s’enorgueillir d’avoir suscité la création de sociétés prestigieuses comme celle des Amis de Victor Schoelcher et de Félix Eboué. Grégoire, tout au long de sa vie, a fustigé les préjugés dont il a magistralement décrit les origines: «L’ignorance, la paresse, une déférence passive à l’autorité, l’intérêt et l’orgueil sont les sources les plus ordinaires des préjugés.» On a toujours trouvé Grégoire au premier rang dans les luttes pour la dignité de l’homme, même au moment où la «démence coloniale», selon le mot très juste d’Yves Benot, atteint son paroxysme. Dans une lettre sans destinataire connu, Grégoire écrit à propos d’un acte additionnel voulu par le Napoléon des Cent-Jours: «La Constitution présentera une lacune affligeante si vous ne déclarez solennellement que la traite des nègres est pour jamais abolie et qu’une loi particulière déterminera les peines à infliger aux réfractaires.»
Parallèlement a son énorme correspondance, Grégoire utilise toutes les voies possibles pour combattre l’esclavage et le racisme. Il envoie ses principales collaborations à deux publications périodiques, «la Chronique religieuse» et la «Revue encyclopédique». Il suit très attentivement l’évolution d’Haïti et reste très vigilant sur le développement des moeurs politiques dans le monde en général: «Il est dans l’ordre essentiel des choses créées par la Providence que ce qui est inique soit impolitique et finisse tôt ou tard par d’épouvantables désastres.» Le combat de Grégoire ne concerne pas seulement Haïti et l’ensemble du monde noir, mais aussi les parias ou hors-castes et les juifs. Si ses préoccupations sont naturellement religieuses, elles sont fondées sur un sens aigu de la justice et de la fraternité. A un moment où des discussions souvent oiseuses sur la diversité tentent d’accaparer l’attention des citoyennes et des citoyens, ces écrits de l’abbé Grégoire sur les Noirs mériteraient d’être lus et commentés dans les écoles de la République française.
Jean Métellus “Ecrits sur les Noirs”. Tome I : 1789-1808, tome II : 1815-1827, par l’abbé Grégoire, L’Harmattan, 226 p., 24 euros, et 216 p., 20,50 euros.
Source:Haïti en Marche,édition du 12 au 18 Août 09,Vol XXIII,#29