Une atteinte grave aux principes du Droit International humanitaire
par Ephésien Joissaint, av.
Il est un principe fondamental reconnu universellement dans toute démocratie, consacré dans toute la théorie du Droit Pénal, et aujourd'hui consolidé et renforcé par le Droit international des droits de l'homme, que nul ne peut être tenu pour coupable, en dépit même des plus graves soupçons, tant que la preuve complète des charges mises à son compte n'a pas été administrée. Ce, dans le but de protéger le droit sacré à la liberté individuelle. Il en résulte que le Prévenu, l'inculpé ou l'accusé sera présumé innocent pendant toute la durée de la procédure et de l'instruction de son dossier.
Ce principe, considéré à juste titre comme le postulat de la Théorie des preuves en droit pénal, se retrouve dans tous les textes, accords, conventions et pactes relatifs aux Droits de l'Homme, ainsi que dans toutes les Constitutions des Etats démocratiques. « Toute personne accusée d'une infraction pénale est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie », dit l'article 14, alinéa 2, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Pacte dont haiti est signataire.
Ainsi la définit également la Convention européenne des droits de l'Homme en son article 6, alinéa 2, ainsi que la Convention Américaine relative aux droits de l'homme en ses articles 7 et 8.
De chez nous, la Constitution de 1987, jusque-là en vigueur, en dépit de son matraquage par nos hommes politiques depuis sa naissance, à chaque fois que le besoin de satisfaire ses intérêts personnels se fait sentir, est claire, nette et précise en matière de la liberté individuelle, en ses articles 24, 24-1, 24-2 et 26. Article 24 : « La liberté individuelle est garantie et protégée par l'Etat.» Article 24-1 : «Nul ne peut-être poursuivi, arrêté et détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu'elle prescrit.» Art. 24.2 : « L'arrestation et la détention, sauf en cas de flagrant délit, n'auront lieu que sur un mandat écrit d'un fonctionnaire légalement compétent.» Art. 26 : « NUL ne peut-être maintenu en détention s'il n'a pas comparu dans les quarante huit heures qui suivent son arrestation par devant un juge appelé à statuer sur la légalité de l'arrestation et si ce juge n'a confirmé la détention par décision motivée». Et, l'article 27 de conclure: « Toutes violations des dispositions relatives à la liberté individuelle sont les actes arbitraires. Les personnes lésées peuvent, sans autorisation préalable, se référer aux tribunaux compétents pour poursuivre les auteurs et les exécuteurs de ces actes arbitraires quelles que soient leurs qualités et à quelque corps qu'ils appartiennent.»
De sorte que la présomption que la personne soupçonnée,quel que soit son statut (prévenu, inculpé ou accusé), est innocente, devrait entraîner nécessairement le respect de son droit à la liberté et à la sécurité de sa personne, la garantie de ne pas être arrêtée ni détenue arbitrairement, si ce n'est pour des motifs sérieux et conformément à la loi, la prison étant l'exception et la liberté la règle. Pourtant, chez nous en particulier et dans les pays sous-développés en général, la question ne semble pas préoccuper les autorités judiciaires. La détention des personnes en attente de jugement soit pour une simple contravention, pour un délit ou pour un crime, dépasse les limites de la tolérance pour s'échelonner sur trois à quatre ans, et même plus quelque fois. Et, pour justifier leur position et se disculper face à cette violation de la Constitution et du principe de « La présomption d'innocence», les autorités judiciaires invoquent toujours le problème de structure adéquate qui caractérise le système, serait le motif qui justifie la détention massive d'individus présumés innocents dans les cellules infernales des prisons, gardes à vue et centres de détention de la République, en attente de jugement.
Voilà pourquoi, à cette pilule très difficile à avaler, nous opposons cette boutade d'un homme politique haïtien du 20ème siècle, bien qu'il l'ait utilisée à son sens et à ses fins personnels en déclarant : « Il n'y a pas de problèmes qui ne puisent être résolus là où il y a une volonté implacable et un véritable sens missionnaire.» Et qui pis est, pour comble de nos malheurs, du malheur de cette démocratie et de cette modernité en gestation depuis environ 14 ans, s'ajoute depuis quelque temps, dans le système judiciaire du pays, une vieille pratique téméraire et anti-démocratique encore plus grave qui est celle du maintien en prison sans aucuns autres motifs, d'individus en faveur desquels des jugements et ordonnances de mise en liberté ont été rendus par des juges légalement compétents pour le faire, ce, sans le moindre souci d'être observés sur le plan local ou international. Entre-temps, d'autres démocraties, sur lesquelles d'ailleurs nous devons que l'on veuille ou pas nous inspirer, si nous voulons vraiment sortir de l'ornière de l'absolutisme et emboîter le pas de ce monde «Globalisé» et civilisé, mettent les bouchées doubles pour pallier le problème de la prévention, encore moins qu'ils aient commis le plus grand impair de retenir dans les liens de la prison, sans aucune autre cause, des individus dont une décision de justice passée en force de chose jugée a ordonné la libération.
En France, par exemple, par souci du respect du principe de la présomption d'innocence et pour résoudre du même coup le problème de la détention préventive, le cas d'un individu soupçonné d'une infraction pénale et appréhendé, n'est-il pas étudié d'abord par un juge appelé à vérifier s'il y aura des indices de culpabilité nécessitant sa mise en examen, en vertu d'une procédure dénommée «le référé d'innocence »?
Quoiqu'il en soit, nous demeurons convaincu que la détention préventive prolongée et l'inexécution des décisions de mise en liberté rendues en faveur des détenus par la justice, sont inconciliables avec les principes de démocratie, de justice et de paix durable, pour lesquels tant de sang d'innocents a déjà coulé sur ce coin de terre.
Que les décideurs comprennent la nécessité de rompre pour une bonne fois avec ces vieilles pratiques d'un passé récent, que nous jurons tous de ne plus revivre.
Ephésien Joissaint, Avocat
Spécialiste en droits économiques, sociaux et culturels.Yon gwo AYIBOBO pou ou men m zanmi m ki vizite lakou sa pou pwan nouvèl zanmi lakay ak lòt bò dlo.