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Haïti: Ochan ! Ochan pour Jean F. Brierre
Publié le 19 octobre 2009 par 509Haïti: Ochan ! Ochan pour Jean F. Brierre
par Ary Balmir, Av. Professeur
Le grand orateur Pierre Eustache Daniel Fignolé, candidat à la Présidence de la République en 1957 très satisfait de sa tournée à Jérémie en mars de la même année, de retour à Port-au-Prince, s'écriait dans son langage très imagé: «La Jérémie, qui a vu naître et grandir le poète Jean F. Brierre, oui chers amis et auditeurs de Radio Caraïbe, cette belle ville, m'a reçu en beauté.»
Et aujourd'hui 23 septembre 2009, je me suis réveillé avec sur les lèvres le nom de Jean Brierre, j'ai une pensée spéciale pour ce grand homme qui symbolisait la fierté, l'orgueil de Jérémie ma ville natale, portant toujours et malgré tout l'honneur des bienvenues ; après qu'elle eut versé tant de larmes et poussé tant de cris. Je veux, en ce jour du 23 septembre 2009, saluer le centième anniversaire de Jean F. Brierre par un ochan ! Ochan ! dont les notes se répercuteront face aux vagues qui vont se répandre sur les plages des cadres poétiques de La Pointe, de l'Anse d'Azur et d'Anse du Clair. Vraiment, je déplore qu'une fois de plus, les 100 ans d'un honorable fils de la cité des poètes soient passés sous silence par l'intellectualité de Port-au-Prince. Je regrette qu'à Jérémie aucune rue ne soit baptisée jusqu'à présent : Rue Jean Brierre, lui l'auteur d'oeuvres littéraires de haut niveau telles que «Les Aïeuls, Black Soul, Adieu à La Marseillaise, Dessalines nous parle, au milieu des flammes ; sans oublier cantique à trois voix pour une poupée d'ébène, magnifique poème dédié à la merveilleuse jeune fille haïtienne, Claudinette Fouchard, couronnée en 1960 à Cali-Colombie Reine Mondiale du Sucre. Dans son texte, Jean salua la victoire de sa majesté Claudinette comme le triomphe de la beauté et de l'élégance de la femme haïtienne.
Le poète dit à Claudinette Fouchard «et vos mains de lumière et d'ombre dans l'histoire ... c'est le miracle pur qui règne au bord du temps.»
Si Jean F. Brierre était encore vivant, il serait scandalisé en voyant dans quel état honteux est réduit le Bicentenaire de la fondation de Port-au-Prince, construit en 1949 sous le gouvernement du progressiste président feu Dumarsais Estimé. A l'époque, Jean F. Brierre, sous- secrétaire d'Etat du Tourisme, participait pleinement aux inoubliables soirées organisées au Théâtre de Verdure, au Vert Galant, à l'Hôtel Beau Rivage. Jean, membre du Cabinet ministériel, était bien désigné pour encourager le développement du tourisme en Haïti, Ah ! il faut le dire, il avait une belle présentation physique, un beau parler et jouissait de la sympathie agissante des femmes.
Ochan ! Ochan ! pour Jean F. Brierre, il avait eu le mal courage de prendre fait et cause pour Clément Jumelle, ce fils de l'Artibonite sacré, qui avait maintenu sa candidature à la présidence de la République, après la démission du Général Président Paul E. Magloire dont il fut le dernier ministre des Finances. C'est à ce titre seulement qu'il fut traqué le jour et persécuté la nuit par le gouvernement provisoire de l'époque et le dimanche 12 avril 1959, à l'occasion des funérailles de Jumelle, son fidèle compagnon de lutte, Jean F. Brierre se fit applaudir longuement quand, avant la levée du corps en la maison mortuaire, il lança son pathétique message d'adieu à Clément Jumelle en disant : «Clément Jumelle n'est pas mort, il n'est qu'endormi, nous garderons le dieu».
Ochan ! Ochan pour Jean ! qui encadré des Jumellistes de la première heure et de la dernière, tels Me Gérard Gourgue, Castel Démesmin, Emmanuel Ambroise, Jean Desquiron, Lucien Balmir, Franck Devieux entonna avec l'assistance consternée, le très douloureux cantique : « Ce n'est qu'un au revoir Clément, suivi d'un édifiant «Pour le Drapeau, pour la patrie, mourir est beau, du sol soyons seuls maîtres (si mwen te konnen toujou dèyè).
Oh! je commettrai une grave erreur si je me mentionnerais pas pour l'histoire et la vérité que Jean F. Brierre fut l'un des avocats constitués pour assurer, en 1958, la défense du lieutenant Raymond Chassagne des F.A.D.H traduit devant une cour martiale, siégeant aux Casernes Dessalines, sous l'accusation mensongère de complot contre la sûreté intérieure de l'Etat.
Les avocats Jean Brierre, Georges Chassagne et Alix Mathon croisèrent le fer par la parole avec l'accusateur militaire, le capitaine Jacques Laroche des F.A.D.H. Si Mathon et Chassagne, écrivait Le Nouvelliste, faisaient preuve de leurs connaissances juridiques, Brierre, dans ses interventions, répondait du tac au tac à l'accusateur militaire pour mieux lui faire perdre le fil de ses idées. En effet, par une simple réflexion, Me Jean Brierre brisa l'élan de l'accusateur Laroche; écoutez s'écria l'avocat de la défense.« Raymond Chassagne pouvait-il se mettre en tête qu'un jour, son ami intime, son frère d'armes bien-aimé, le capitane Jacques Laroche, serait son accusateur devant une cour martiale».
Alors visiblement troublé, disait le quotidien Le Nouvelliste, l'accusateur militaire s'empressa de lui rétorquer : «Me je n'ai pas demandé à être l'accusateur militaire du Lieutenant Raymond Chassagne, je ne fais qu'accepter un choix du Grand Quartier Général des F.A.D.H, point barre». Alors très spirituel, Me Brierre de lui répondre: «Il ne nous reste qu'à aller à la ligne pour dire au lieutenant Chassagne: «Le Grand Quartier Général m'a choisi pour être votre accusateur, je ne vous connais plus». Applaudissements, suspension d'audience. Les journaux La Phalange, Le Nouvelliste, Le Matin, Haïti-Journal saluèrent en des termes choisis les trois avocats du lieutenant Chassagne. Grâce à leur défense bien charpentée, la Cour Martiale condamna l'accusé à seulement 1 an d'emprisonnement pour être par la suite gracié par un arrêté de clémence pris en sa faveur par le président François Duvalier.
Ochan ! Ochan ! pour Jean Brierre qui sous le gouvernement du Général Président Paul E. Magloire était ambassadeur d'Haïti en Argentine, quand, à la chute en septembre 1955 du président Juan Domingo Peron, la mission diplomatique haïtienne fut violée en pleine nuit, par des forces militaires et procédèrent à l'arrestation de hauts gradés qui s'y étaient réfugiés. L'ambassadeur Brierre sauva l'honneur haïtien en obtenant le soir même que les asilés lui furent remis sains et saufs, que le sauf conduit leur fut accordé ainsi que des excuses publiques soient présentées au peuple haïtien par le président provisoire de l'Argentine, le Général Pedro Aramburu. Le jour du départ des asilés pour l'étranger, ils étaient tous recouverts du drapeau national et furent accompagnés jusqu'à l'intérieur de l'avion par l'ambassadeur Brierre, en compagnie du prestigieux professeur Franck Paul, à l'époque 1er secrétaire de l'ambassade d'Haïti en Argentine.
Ochan ! Ochan pour le brillant diplomate que fut Jean Brierre.
Au coeur du centième anniversaire de naissance de Jean F. Brierre, qui m'avait honoré de son amitié, il me revient à la mémoire qu il fut le parrain de la promotion sortante, classe de Philo 1988-1989, de l'Institut Orphée Noir. Répondant au merveilleux discours de notre ami le brillant intellectuel Charles Alexandre Abellard, Brierre fit cette déclaration : «Après mes années d'exil à Dakar, où j'ai été choyé par le président Léopold Sédar Sengor, aujourd'hui je suis honoré par l'Ecole de mon confrère poète Charles A. Abellard. C'est avec mon coeur de Jérémien que je dis : Merci ! à l'Institut Orphée Noir.»
Ochan ! Ochan ! pour Jean F. Brierre, qui par un caprice du destin est mort le 24 décembre 1992. Il s'en est allé sans faire de bruit, en cette nuit de Noël, à l'heure où l'enfant-Dieu allait naître dans une féerie de sons et de lumières.
Hélas ! Hélas ! L'ambassadeur Brierre n'a pas eu de funérailles nationales. Ala traka.
Ary Balmir
Av. ProfesseurYon gwo AYIBOBO pou ou men m zanmi m ki vizite lakou sa pou pwan nouvèl zanmi lakay ak lòt bò dlo.