Magazine Journal intime

19 heures 36

Publié le 20 octobre 2009 par Lephauste

19 heures 36, les voyageurs en partance pour Paris gare de Lyon sont invités à se présenter à la porte de l'enfer, voie 4 ! Ce train ne prend pas de voyageuses, le compostage des billets est obligatoire ! Nous vous rappelons que pour votre confort il est interdit d'en griller une dernière avant l'exécution capitale; Un compartiment cendres se trouve en queue de train ! Assurez vous que vous n'avez pas oublié les débris de vos amours sur le quai en entrant dans le silence de l'hiver énucléé. La société des chemins de fractures vous souhaite un agréable voyage...

Je ne sais plus comment j'en suis arrivé là, je n'avais pris que l'aller, j'ai horreur de me dire qu'il va falloir revenir, où que ce soit, qu'il faut toujours revenir à ce qu'on a laissé, figé, vitreux comme de la buée dans laquelle se dissolvent des mots tracés à l'index indélébile. Mais pourtant c'est bien là que je suis revenus. J'ai cherché ma place, puisque j'avais payé, j'en avais une. Numéro 94, côté fenêtre. Fenêtre ? La nuit est pleine, on a que le reflet déformant dans la vitre blindée, de ce qui se passe à l'intérieur. Au dedans de soi, on ose pas y regarder, la grande serre de la gare, quelques minutes avant, une couveuse où des morts-nés s'affairent autour des automates. Naître c'est donner naissance à un tas de gens indifférents. Des curieux indifférents. Il n'y a rien de pire que les curieux, face à eux on se sent comme nus, dans des langes sales, dans des salles d'attente où personne n'attend rien que le moment de fuir. Le TGV pour ça, c'est parfait. On fuit à la vitesse de l'éclair qui renonce à éclairer ce qui le brûle avec voluptés. Je me suis assis, à côté de moi pas de voyageur, un jeune homme arrive, je sens la décomposition il me toise, regarde le siège vide et me dit:

- Je vais aller m'assoir là bas, le wagon est presque vide et la peine ce soir m'est étrangère.

J'ai l'air d'avoir de la peine ? Non pourtant, j'ai l'air d'un assassin dont la vocation est tardive. Ma gueule fait peur, je vis dedans, je me suis habitué à ça, avoir une gueule de travers. Il y a toujours un malaise. Un malaise et puis la curiosité. Les curieux sont comme les clients du rayon boucherie, ils reluquent les meilleurs morceaux mais n'ont jamais les moyens de leurs festins, alors ils se rongent. C'est vrai que le Wagon est presque vide. Alors, le wagon là, vous le voyez presque plein ou presque vide ? Je ne sais pas, l'important c'est la qualité, pas la quantité. Là il n'y a ni l'un ni l'autre. Des gens, pas des voyageurs, des servants de batteries au bord de l'extinction. Tout l'attirail du parfait rien, téléphone, ordinateur, MP3, DVD, clignotements, petits bruits sans saveurs, SMS, TesOù ? Je te porterais chance, j'arrive à 22 heures 19, tu seras là ? Et tout ça portable, migrant, autonome, sans nom qu'un numéro de siège tatoué sur la certitude d'être quelque chose. C'est à dire quelqu'un qui a payé.

Je suis dans ce boyau high tech comme un étron bien expulsé, je ne ressens rien d'autre que la satisfaction stérile du transit accomplis. Gare de Lyon, 22 heures 19. Je jette un regard vers les escaliers du Train Bleu, tiens c'est vrai, un matin je l'avais emmenée là, elle avait raté son train. elle était encore à moi. L'éternité en vrai c'est quand rien de ce qu'on avait prévu ne se passe et que le temps est nu, totalement nu, définitivement nu.


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