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Simenon : un écrivain hors du commun (17)

Publié le 20 octobre 2009 par Mazet

La "retraite"

Alors que Teresa est entrée dans sa vie un peu par hasard après avoir été une garde-malade attentionnée (Simenon s’était fracturé sept côtes en tombant dans sa salle de bains), l’écriture devient de plus en plus une corvée pour le romancier. Début février 1972, il écrit Maigret et Monsieur Charles et prend sa décision : ce sera sa dernière œuvre romanesque. Pour autant, Simenon ne renonce pas à l’écriture. Simplement, elle va prendre une autre forme, beaucoup moins éprouvante que la rédaction d’un roman. Sa matière va lui être fournie à la fois par l’actualité et ses souvenirs, sans souci de rigueur : il confie donc ses " pensées " à un magnétophone afin d’éviter toute fatigue… Une vingtaine de volumes, intitulés " Les Dictées ", seront publiés de 1975 à 1981 à raison de trois par an en moyenne. La plupart des commentateurs de l’œuvre s’accordent à dire que ce bavardage désordonné n’apporte pas grand-chose, ni sur le plan littéraire, ni même du point de vue autobiographique… De cette période, on retiendra cependant Lettre à ma mère (1974), mentionnée plus haut, dans laquelle Simenon met toute sa sincérité : la forme de ce livre est également digne d’intérêt, du moins peut-on y discerner une certaine unité.

   Avec l’arrêt de son activité de romancier en 1972, Simenon décide aussi de marquer cette coupure en quittant son immense maison d’Epalinges. On est habitué à cette façon de faire, mais cette fois, le contraste doit être fort. Il abandonne symboliquement les lieux de l’écriture, d’abord pour un appartement de l’avenue de Cour à Lausanne, puis pour " la petite maison rose " de l’avenue des Figuiers dans cette même ville. Le retraité du lac Léman fait sa promenade quotidienne au bras de Teresa, qu’il présente à tout le monde comme la femme dont il a toujours rêvé. Malgré des ennuis de santé, Simenon connaît quelques moments de bonheur, alors que Denyse ne le harcèle plus que par avocats interposés. Le répit est pourtant de courte durée. En 1978, un coup de fil de son fils Marc lui apprend une terrible nouvelle : sa fille Marie-Jo vient de se suicider en se tirant une balle de pistolet dans la poitrine… C’est l’effondrement bien compréhensible d’un père qui redoutait cependant un malheur depuis ces dernières années. Marie-Jo n’a jamais été une enfant très équilibrée : cette jeune fille de 25 ans souffre de terribles angoisses qu’elle tente d’apaiser, comme sa mère, par des séjours en clinique psychiatrique. Ce drame ébranle le vieil homme, d’autant que Denyse lui fait endosser la responsabilité de ce suicide : les deux livres qu’elle publie accusent en effet un père qu’elle juge autoritaire, violent et irresponsable.

  

Après quelques mois de silence, Simenon décide de se justifier aux yeux de ses lecteurs et entreprend d’écrire les Mémoires intimes, un gros livre dans lequel il met à nouveau toute son énergie. Le ton superficiel des Dictées n’est plus de mise, et il renoue avec Je me souviens ou Quand j’étais vieux : la sincérité est proclamée dès les premières lignes, même si on doit se montrer sceptique à propos de sa relation de certains événements. Ce texte, publié en 1981, est la dernière œuvre de Simenon, un testament traversé par l’émotion lorsqu’il évoque sa fille, mais aussi un long règlement de comptes avec Denyse. D’une façon symbolique, il fera ses adieux à la littérature et à la télévision en participant peu après la parution des Mémoires intimes à un " Apostrophe " spécial de Bernard Pivot, qui lui est entièrement consacré.  

Désormais, l’écrivain va s’effacer progressivement et se replier dans son petit studio de l’avenue des Figuiers : seuls quelques amis sont autorisés à lui rendre visite et la presse, il ne la reçoit plus. En 1984, il est opéré d’une tumeur au cerveau et se rétablit plutôt bien, ne quittant plus un instant sa compagne Teresa avec qui il fait encore quelques promenades au bord du lac Léman. Mais à partir de 1987, sa santé se dégrade brusquement : la paralysie gagne en effet le bras gauche et les jambes, et il doit se déplacer en chaise roulante. Sa dernière interview accordée à la télévision suisse en décembre 1988 laissera le souvenir d’un homme très diminué. Il s’affaiblit de mois en mois, devenant silencieux avec son entourage au cours de l’année 1989. Après un bref séjour dans un hôtel de Lausanne, Georges Simenon s’éteint paisiblement dans la nuit du 3 au 4 septembre 1989 : ses trois fils apprendront la nouvelle par la presse selon les dispositions du testament…

Dans la presse mondiale, la mort de Simenon fait la " une " des journaux : c’est surtout au " père " de Maigret que l’on rend hommage, à grands coups de chiffres plus ou moins fantaisistes, tandis que l’auteur des " romans durs " est souvent oublié. Une dernière fois Simenon est victime des médias qui ont contribué à forger une légende dont il est en grande partie responsable.


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