- Épisodes précédents
- 1 – le libraire
- 2 – l’inspecteur
- 3 – Un jour gris
- 4 – Des problèmes
- 5 – la maison du libraire
- 6 – Une piste ?
Avant d’arriver à Lambeth, Alpeed envoya un garçon de course porter un message au commissariat. Il demandait au jeune Abberline de finir le dossier qu’ils avaient commencé ensemble le matin même, à savoir la liste des femmes disparues au alentour de Bishop’road au cours des cinq dernières années. Uniquement celle correspondant au profil. Si l’inspecteur Lornbeck avait raison, ils trouveraient de nombreux cas. L’atmosphère pesait sur les épaules d’Alpeed. Il sentait que cette histoire allait l’entraîner au-delà de ce qu’il souhaitait. Non pas qu’il n’est pas eut conscience qu’entrer dans la police fut dénué de risque, mais bien au contraire, que cette histoire était tout autre qu’une banale histoire criminelle. Si les soupçons de Lornbeck se précisaient, ils allaient faire face à un tueur machiavélique. Pas de ceux qui laissent traces et indices, mais bien de ceux qui ne figure que dans les légendes des archives de la polices. Ceux que l’on n’a jamais attrapés, jamais identifiés. Ceux qui ont échappé au bras étouffants de la justice. Le jeune Fergus pensa aussi à Alice, sa femme et à Barrie leur premier enfant. Voilà ce qui le torturait, plus encore que le ciel gris et le froid mordant, pendant qu’il traversait le pont de Waterloo. Le quartier dans lequel il arriva n’était pas riche, pas même bourgeois. Ici, les enfants crasseux courraient dans les rues derrière une vieille roue d’un grand-bi probablement volé des mois auparavant. Les vieux font la manche, les hommes battent leur femme, des femmes font le trottoir pour quelques sous qu’elles n’ont pas. Un bien triste endroit lorsque, comme le jeune lieutenant, on a la chance d’habiter dans la proche banlieue de Londres.
Le jeune lieutenant entra dans le marché presque terminé à cette heure.
***
Quand Asling ouvrit les yeux, il était aveugle. Seule l’obscurité et la panique répondirent à ses cris. Ses mains étaient entravées dans son dos, comme ses pieds. Les liens étaient si serrés qu’il ne sentait plus ses extrémités. Du sang chaud, le sien, coulait dans sa bouche. Voyait-il encore ? Que l’obscurité la plus noire et la plus absolue. Son agresseur lui avait-il crevé les yeux. Il n’avait pas mal aux yeux à proprement parler, mais dans tout le crâne. Il ne se rappelait pas les secondes qui avaient suivie l’extinction de la lumière, mais à en juger par la douleur, son agresseur l’avait assommé avec un objet assez lourd. Il n’avait aucun moyen de savoir combien de temps il était resté inconscient. Quelques heures, quelques secondes. Des jours peut-être ? Sous ses pieds, il sentait rouler les pierres. Des galets ? Non trop petits, du gravier ou bien des cailloux un peu plus gros. Il en toucha du doigt, il avait une surface polie.
« Y a quelqu’un ! Hey ! » Héla-t-il. Il n’aima pas le son de sa voix. Elle contenait trop de peur, trop d’appréhension. Asling se sentait démuni ici. Quelque part, loin de lui ou proche, il n’aurait su le dire, un rire immonde et terrifiant s’éleva depuis la nuit. Ce rire n’avait rien d’humain. L’irlandais sentit le sang refluer de son visage. Il était tétanisé par la peur. Son souffle, rapide, s’emballa un peu plus. Il déglutit et malgré son écoute attentive, il s’entendit que l’air sortir de ses poumons en bouffées incontrôlées.
Où était la créature qui avait rit tout à l’heure.
« Tu te réveille ? » demanda à voix basse – Asling sursauta – quelque chose sur sa droite. Il estima à seulement quelques mètres la distance qui le séparait de la chose. Etait-ce humain ? L’enfant ? Cette voix qui n’avait rien de celle d’un enfant.
Un souffle vint chatouiller son oreille droite. Asling hurla en se jetant sur le côté. Un son de cailloux qui s’entrechoquent lui parvint. Il reposait maintenant inconfortablement sur le côté.
« Allons, ce n’est pas digne de ton sang Asling » dit la voix devant lui maintenant. Au-delà de l’incompréhension de l’irlandais sur la connaissance de la chose de son nom, il comprit que celle-ci reculait. Une minute passa, puis une deuxième. A moins que cela ne fut une heure. Puis un nouveau son attira son attention.
Quelque part devant lui, une chose avancée sur le sol. Une respiration sifflante s’approchait de lui. En glissant… Une reptation sur le sol, comme un serpent immonde et boursouflé.
Asling retînt son souffle quand il comprit que son heure était venue.
***
Alpeed martela de ses doigts impatients l’étal du vieil homme bourru. Ce dernier ne soutint pas longtemps son regard. Cela faisait bientôt une demi-heure que le lieutenant se heurtait à des silences ou à des négations ou des digressions sans le moindre intérêt.
« Les poissons sont-ils bons aujourd’hui mon ami ? » engagea comme préambule le jeune officier. Le vieil homme jeta un nouveau coup d’œil discret sur son interlocuteur et marmonna une réponse qui ne parvint jamais à supplanter le bruit du marché. Comme il comprit que c’était inutile, le lieutenant enchaîna.
« Vous avez sûrement entendu parler de cette triste histoire, la femme étranglée de l’autre côté du pont ? Dites-moi ? »
Le vendeur toujours aussi peu loquasse éluda la question d’un geste de la main qui signifiait que oui il avait entendu parler de l’affaire et non il n’en dirait pas plus. Le lieutenant aurait sans doute abandonné là la conversation comme à beaucoup d’autres stands s’il n’avait perçu dans le regard du vieux une trace de peur… En tout cas quelque chose d’autre que le désintérêt qu’il avait perçu jusque là.
« Dis-moi vieil homme pourquoi tu me mens ? » le saborda Fergus Alpeed en estimant qu’il y avait là une possibilité d’entrée en matière.
« Vous me traitez de menteur ! » s’emporta trop vite le vieil homme. Un homme, plutôt très charpenté demanda au vieux si on l’embêté. Alpeed en appris son prénom, Albert.
« Allons allons, c’est à la police que tu parles Albert, fais attention à mesurer tes paroles. Je te dis que tu me mens car c’est ce que tu faisais. Alors si tu connais la grosse, dis-m’en plus. C’est ici ou tu m’accompagne au commissariat pour voir si tu auras plus de langue ? » Le vieil homme perçu la menace à peine déguisée et accepta de parler. Il désigna du menton une vieille femme quelques mètres plus loin.
« Ça c’est ma femme. Elle est écornée par les années mais le ciboulot marche encore pas trop mal. Elle connaissait Annie, la femme étranglée comme vous devez déjà le savoir, vos amis sont venu interroger dans le quartier l’autre soir. Bref, ma femme connaissait la grosse Annie comme on l’appelait par ici. Presque tout le monde ici la connaissait. Elle aurait pas fait de mal à un chat mais Dieu lui a pas bien rendu. Son mari est mort il y a des années, alors sans le sou, quand l’hiver est trop dur et que le gel fait fuir tout les poissons, la grosse tapinait de temps en temps, et m’est d’avis que vous devriez regarder de ce côté-là ! Nous les pauvres gens, on a le mal pour finir les semaines et les bourgeois qui avancent sur l’autre rive nous marcheraient dessus que de nous regarder. M’enfin, c’est Dieu qui en décide pas vrai. Foutre de diable ! »
Alpeed écouta patiemment le vieil homme sans le couper. Il savait que, s’il voulait des informations intéressantes, il devrait écouter sa plaidoirie jusqu’au bout. Il acquiesça pendant encore quelques minutes puis le vieux revint au sujet de lui-même.
« Alors ma bonne-femme, elle était là, elle venait de croiser la grosse. Elle l’a salué mais comme elle avait à faire au marché, elle a pas pu attendre pour le potin. C’pas grave qu’elle s’est dit, la grosse reviendra. Elle avait mis sa robe mauve. Une horreur mon avis, mais c’est comme ça qu’elle allait au tapin. Ma femme s’est dit qu’elle la reverrait dans une ou deux heures. Bon, comme m’a femme après deux heures, qu’elle avait plus trop à faire, elle m’a laissé là avec le client puis elle est partie du côté de Duke Street. C’est là qu’allait souvent tapiner la grosse. V’là t-y pas qu’à peine arrivée un gamin manque de la renverser en s’enfuyant. Elle a cru au vol à l’étalage mais comme y avait personne pour hurler elle a continué. Elle a alors vu un homme courir et c’est là qu’elle a vu la grosse, juste dans une p’tite ruelle sur le côté. Elle était morte, les yeux comme les trous de la mort, la langue sortie comme un gros fruit qu’elle m’a dit. C’est alors qu’elle a compris que le môme était certainement dans le coup. Elle savait pas comment elle le savait, mais j’vous jure que c’qu’elle m’a dit. Le gamin avait les yeux du diable qu’elle m’a dit. Il était sal et empesté l’air. C’était le Diable lui-même. Pensez bien que c’t’affaire on veut pas qu’elle nous retombe sur la margoulette. Si l’Diable se mêle de nos affaires on passera pas l’hiver. La vieille et moi, on est plus des minots. L’air froid ça nous fait du mal. Faut qu’on se chauffe, sinon c’est la mort par la gangrène de nos orteils jusqu’à not’ moelle. »
Alpeed prit le temps de jauger le vieil homme une nouvelle fois. Comment savoir si la fin était le fruit de l’imagination de sa femme ou bien la réalité. Le môme avait certainement rapiné l’un des badauds plutôt, pas moins. La grosse femme n’avait rien à voler. Le lieutenant changea de position avec son petit calepin quand il sentit une pression sous sa semelle. Relevant le pied vous voir ce qu’il avait écrasé, il vit un petit caillou noir. Parfaitement lisse. Il se pencha et le ramassa. C’était le même type de caillou qu’on avait trouvé sur le lieu des deux crimes.
« Vous savait d’où viennent ces cailloux, vieil homme ? »
Ce dernier considéra le caillou les yeux plissés et fit non de la tête. Il rajouta qu’il n’en avait pas vu des comme ça dans le quartier et qu’il ne voyait pas d’où celui-ci venait.
Fergus Alpeed regarda à nouveau le petit caillou, prit d’un sombre pressentiment. Ce caillou avait était déposé ici pour lui. Il en avait la terrible conviction.
***
Lornbeck arrive à grand peine jusqu’à l’église. A croire que son estomac ne le laisserait plus en paix. Il avait vomit une nouvelle fois dans une rue sur le côté. Il se sentait un peu mieux maintenant et espérait que cela durerai un temps. Il se tourna vers le monument.Le gros bonhomme fit face à l’église. Elle l’écrasait de sa stature. Même modeste, c’était la maison de Dieu. Construite par des hommes pour se rappeler combien ils sont miniature fasse à la puissance de Dieu, la puissance de la terre. L’inspecteur resta devant un long moment. Il reprenait son souffle. Il hésitait aussi. Sa place n’était pas ici. Il le savait au fond de lui. Que faisait-il ici ? L’enquête. Il savait bien qu’il n’obtiendrait probablement rien de ce lieu. Alors pourquoi venir ? Il se réprimanda en son for intérieur. Lui savait bien pourquoi il était ici. Il monta lentement les marches de granit.
Lornbeck se signa en pénétrant le lieu saint. Il n’était pas entré dans une église depuis bien longtemps. Quelques fois à peine depuis son mariage. Le lieu était empreint de tranquillité. Un calme serein régné ici. L’atmosphère, bien que surchargée des fumées d’encens et de bougies était colorée par de magnifiques vitraux mauves. Au milieu des bancs, quelques croyants entrain de prier et, s’occupant de bougeoir, le prêtre s’occupant des lieux. Lornbeck se dirigea vers se dernier.
« Puis-je vous parler… » Demanda-t-il en n’osant ajouter le mon père.
« Bien sûr, mon fils. Désirez-vous vous confesser ?
- En vérité mon père, je suis inspecteur de police et je viens m’entretenir avec vous de l’un de vos paroissiens. »
Le prêtre marqua sa surprise d’un haussement de sourcil et regarda derrière l’inspecteur les quelques têtes qui venaient de se lever. Lornbeck qui avait suivit sont regard entraîna alors le vieil homme vers le confessionnal jugeant qu’ils y seraient mieux pour discuter.
C’est avec une certaine appréhension qu’il s’assit dans le confessionnal.
« Que puis-je pour vous inspecteur ? » demanda au travers de la grille le prêtre.
« Connaissiez-vous Harvey Dustinietshz, mon père ?
- Oui, en effet. » Fit le prêtre après quelques secondes de réflexion. « Un libraire. Un homme fidèle à la messe. Je le voyais ici tous les dimanches, bien habillé, propre. Quelqu’un de calme et de discret. Il ne parlait jamais aux autres paroissiens, ne se mélangeait pas. Maintenant que vous me dites, je ne l’ai jamais pris en confession je crois… Que lui est-il arrivé, mon fils ?
- Il est mort…
- Oh, l’a-t-on tué ?
- Oui mais… Ecoutez mon père… Tout porte à croire que cet homme a tué plusieurs femmes de ses mains et… » Lornbeck soupira. Le prêtre, de l’autre côté de la grille gardait le silence. Il comprit à ce silence que l’homme d’église était désemparé… Il ne savait rien bien sûr. Alors Lornbeck parla, simplement, il fit ce qu’il n’avait pas fait depuis plus de la moitié de son temps de vie.
« Pardonnez-moi mon père, car j’ai pêché. Je ne me suis pas confessé depuis plus longtemps que je ne m’en souviens… »
Le prêtre laissa paraître sa surprise en redressant la tête.
« Parlez, mon fils. »
Alors Lornbeck se confessa, bien loin de ce qu’il avait cru venir faire ici. Mais si proche finalement de l’appel de moi intérieur. L’épisode la morgue lui prédisait une fin dans peu de temps et il avait reconnu de besoin de parler une dernière fois de sa vie. Il voulait parler à un prêtre. Pourquoi ? Il haïssait les prêtres. Du moins l’avait-il cru pendant presque trente ans. Et puis un jour, après la disparition de sa femme, il avait compris que ce qu’il avait détesté si longtemps n’était pas la prêtrise ou même l’église. C’était simplement son père qui haïssait de tout son cœur. Son père était prêtre dans la petite église de Hawthorn Hill, une petite bourgade à l’ouest de Londres. La mère de Lornbeck était morte en couche et son père lui avait toujours reproché à demi-mot. Il lui avait fait payer le prix fort. Le jeune garçon qu’avait était l’inspecteur avait connu les coups, les humiliations et les corvées infâmantes. Il s’était enfuit dès sa majorité en maudissant tout ce qui entourait son père. Quelques années plus tard, alors un jeune lieutenant doué, jeune marié, il était retourné dans sa ville natale. Le besoin de savoir sans doute. Voir ce qu’était devenu l’homme qu’avait été son père. Il avait trouvé un vieillard triste rongé par la solitude. Il était resté éloigné, l’observant à distance… Il n’était pas arrivé à franchir la distance qui les séparés, à croire que la distance était devenue trop grande. Quelques mois plus tard, Lornbeck était retourné voir son père. Il avait cessé de le détester, il voulait simplement le lui dire. C’est comme ça qu’il avait découvert que son père était décédé quelques jours après son précédent passage.
Lornbeck parla de son père au prêtre, de sa femme disparue, du meurtrier, de sa propre solitude, de sa peur de ressembler à ce père qu’il ne serait jamais. Il parla pendant presque une heure et quand il eut finit, il essuya sur son visage les traces salées des larmes qu’il n’avait pas senti couler.
Le prêtre lui dit qu’il était important qu’il ait pardonné à son père et qu’il s’était tout aussi important qu’il se pardonne à lui-même son existence. Que Dieu mettait sur notre chemin des épreuves pour jauger notre valeur et notre mérite. Il lui donna cinq je vous salue marie et dix notre père.
Quand l’inspecteur sortis de l’église, le soleil décliné à l’ouest. Il ferait nuit dans une demi-heure à peine, mais il se sentait plus léger. Son estomac ne le faisait plus souffrir pour l’instant et il se sentait serein. Il restait une dernière chose à faire avec d’achever son existence.
Il devait trouver le meurtrier sans visage et l’enfermer de ses propres mains.
Lornbeck se mis en route pour le commissariat.
Une main dans sa poche.
Ses doigts sur le médaillon de sa femme.
Avant de rendre les armes, il avait une revanche sur sa vie à accomplir.
— Eleken,
Voici le 7eme chapitre des aventures de l’inspecteur Lornbeck (assez long 5 pages quand même),
Un épisode assez intéressant pour la dernière partie apportant plus de profondeur au personnage (Même si ce n’est pas nécessairement un passage qui tombe au bon moment :s il reste nécessaire au développement de l’histoire) le reste tenant plus de la transition. J’espère qu’il plaira