Pour un colloque sur l’enseignement de l’histoire en Haïti
Par Michel Hector, historien, professeur à l'université
L’histoire n’a pas toujours été l’objet d’un enseignement généralisé. Pendant de longs siècles la transmission de cette branche du savoir était réservée aux princes et aux fils des classes dirigeantes. Ils devaient y trouver les secrets les préparant à la direction de leur communauté. C’est le phénomène moderne de la constitution des États nation et l’extension de la formation scolaire au triple niveau primaire, secondaire et universitaire qui ont véritablement permis d’assurer une large diffusion à l’enseignement de l’histoire qui justement a conservé pendant longtemps une orientation fortement nationaliste. Aujourd’hui, dans les sociétés démocratiques les individus réclament et imposent de plus en plus leur association à la conduite des affaires de leur pays. Dans ce contexte, un revirement s’opère. Le public intéressé par la connaissance historique s’élargit chaque jour davantage. L’enseignement de l’histoire s’adresse à tous et se répand partout où l’on se propose de former des citoyens. Du point de vue de la nécessité du renforcement du civisme, et de l’inculcation d’un esprit humaniste et solidaire, le rôle de l’histoire dans l’ensemble des collectivités pour l’éducation à la citoyenneté se révèle ainsi de plus en plus important. Des réflexions sur le thème de l’enseignement de l’histoire exigent tout d’abord la prise en considération du mouvement même de l’historiographie. A ce compte on ne peut pas isoler la problématique de l’enseignement de celle de la recherche en Histoire. De plus, il faut aussi faire cas de l’histoire de l’éducation et de l’évolution des politiques dans ce domaine. Tout cela doit enfin s’intégrer dans le développement du combat pour l’affirmation et l’enrichissement des identités culturelles des divers groupes régionaux et locaux ainsi que de la société en général dans le cadre du déroulement des luttes politiques et sociales. I- Quelques repères historiques La République d’Haïti a pris naissance dans le grand contexte historique de constitution d’États nation vers la fin du XVIIIe et durant la première moitié du XIXe siècle. Les courbes de la production historique et de l’enseignement de notre passé de peuple reflètent naturellement l’évolution de ces grands moments de bouillonnement dans la vie nationale. Au cours des premières années postérieures à l’Indépendance, paraissent des œuvres à vocation historique, témoignages et études, dont la finalité principale est de mettre en relief le caractère héroïque des luttes menées sous la conduite, de tel ou tel personnage proéminent contre la domination coloniale esclavagiste pour la constitution d’un Etat nation. Dans cette perspective on peut citer: le texte de Boisrond Tonnerre (Mémoire pour servir à l’histoire d’Haïti, 1804) ; les écrits du Baron de Vastey (Le système colonial dévoilé, 1814 ; Histoire d’Haïti, 1815 ; Essai sur les causes de la révolution et des guerres civiles d’Haïti, 1819); la publication de Justin Prévost (Histoire du couronnement et du sacre de Henry Ier, 1819). Un peu plus tard, toujours dans cette même mouvance, mais avec une préoccupation marquée pour la description de l’espace insulaire, Beaubrun Ardouin produit en 1832, selon Berrou et Pompilus (t. I., p.224), « le premier ouvrage scolaire haitien » avec sa Géographie de l’île d’Haïti, précédé de la date des évènements les plus remarquables de son histoire . Pour sa part, Saint-Rémy des Cayes, détracteur attitré du chef du royaume du Nord, publie en 1839 un Essai sur Henry Christophe, Général d’Haïti. Céligny Ardouin nous laisse à la même époque une œuvre posthume, Biographie de quelques hommes des guerres de l’Indépendance, qui sera livrée au public jusqu’en 1864. Vers la fin de la décennie 1830-1840, plusieurs jeunes écrivains parmi lesquels on peut citer les frères Ardouin et Emile Nau, se réunissent et forment un groupe pour la promotion de l’enseignement de l’histoire et de la géographie d’Haïti ainsi que pour la rédaction d’un livre d’histoire d’Haïti. Les ouvrages parus au cours de ces années, malgré leur caractère partiel et partial traduisent en quelque sorte une volonté de cultiver l’esprit d’indépendance pour assurer la défense du territoire. Toutefois, ils restent extrêmement rares et circulent pour autant dans un cercle très restreint d’initiés. Un manuel d’histoire digne de ce nom pour les générations montantes se fera encore attendre pendant longtemps. La connaissance de la geste passée de libération se transmet surtout à travers les récits oraux des acteurs toujours en vie. A la vérité, pendant ces quatre premières décennies, une histoire nationale reste impossible tant la nation à peine en formation se présente encore profondément divisée. La crise de 1843-1848 résulte en partie de cette division. Mais en même temps, face à l’acuité de l’agitation populaire dans le cadre de l’insurrection paysanne dirigée par Jean Jacques Acaau, elle crée les conditions pour un meilleur entendement entre représentants de différents secteurs dirigeants de la société.
(à suivre)Yon gwo AYIBOBO pou ou men m zanmi m ki vizite lakou sa pou pwan nouvèl zanmi lakay ak lòt bò dlo.