Deux poèmes de Maurice Chappaz
Comptine des poètes absents
Revenez, revenez du futur
mélancoliques frères,
revenez à la pluie quotidienne,
revenez vous abriter sous l’auvent,
allons prenez de l’embonpoint
comme les curés, les passe-crassanes,
ne bougez pas au soleil.
Laissez flâner la pluie
sur l’écorce.
Vous êtes toujours loin,
vous allez chez les morts,
vous parlez aussi à des bonshommes
qui ne sont pas encore nés.
Mais vous risquez de perdre en route
votre sac plein d’âmes.
Et de sécher au lieu de mûrir.
Envoyez-nous une carte
d’Assise ou d’Egypte.
Priez je vous le dis
toute la nuit.
Tuez les mots
pour faire naître les images
et puis sacrifiez les images
pour connaître le sens.
Et si votre espace intérieur
ne se remplit d’univers
revenez, revenez, insensés…
à la petite maison
et aux bons poiriers.
Le Litre d’ombre
Sur la table
un nuage dans un litre,
je ne désire rien de plus.
Mais l’épicier du coin,
les temps sont durs,
a dû devenir espion pour vivre.
Oh ! je ne comprends pas,
J’étudie beaucoup ;
en chemin j’ai rencontré deux marguerites
dans le jardin de l’hôpital.
Elles me disaient : « Ils n’ont pas supprimé la Mort
Vêts-toi de blanc
et sois tendre malgré tout,
nous sommes des fleurs de là-bas,
la patrie que nul n’aperçoit :
… c’est la terre ».
Rues et rues, étoiles bouillantes.
L’apostrophe des motos !
L’eau de l’évier
sur la motte de beurre en chaleur.
Qu’est-ce que l’amour ?
Depuis que ce quartier a été bâti
je me retourne dans mon lit :
partout la violence du rat.
Je désire dormir,
je désire ne pas être.
De ma fenêtre
les garages montent au ciel,
les librairies-pâtisseries
voisinent avec les fabriques de marteaux-pilons.
Elle bourdonne, notre ruche !
et dans la millième alvéole : un poète
Un seul mot sur sa feuille de papier :
Silence !
Je suis chanoine à l’Eglise de Saint-Ogre ;
Je suis gros et gras ;
Je cultive mes immeubles locatifs.
Dieu n’existe pas
mais le journal et le chocolat glacé.
M.C.
Maurice Chappaz. Pages choisies II. L’Age d’Homme, Poche suisse, no145.