Extrait de Laurence Freeman o.s.b., Jésus, le Maître intérieur, Paris, Albin Michel, 2002, p. 164-165.
Pour trouver Dieu, il faut donc perdre Dieu, du moins nos idées et images primitives de Dieu. Ce détachement sera douloureux, sur un plan individuel et pour la communauté dont nous faisons partie. La psyché subit une transformation à un niveau profond. Même un non-religieux sentira la douleur de perdre un Dieu rassurant et familier. Douleur mais aussi joie accompagnent la découverte du vivant mystère, car les idoles que nous devons abattre sont intimement mêlées à l’image que nous nous faisons de nous-mêmes.
Le sentiment de séparation de Dieu est nécessaire à l’individuation spirituelle, ce qui est particulièrement douloureux et troublant pour les personnes attachées à une religion. Le premier effluve du Royaume s’apparente moins à une découverte de Dieu qu’à une perte ou même à un rejet sacrilège du Dieu qu’elles reçurent d’abord avec confiance. Mais au-delà du vide atroce de l’absence, Dieu se rencontre dans la stupeur de la pure présence.
Lentement l’évidence s’impose que la perte de l’image est la condition sine qua non pour découvrir l’original. Perdre son chemin est la véritable manière de chercher Dieu. Cette vérité sur la vision de Dieu révèle une autre loi que nous n’avons peut-être même pas conscience de suivre : pour trouver notre vrai Soi nous devons perdre nos moi-ego. Pour approfondir une relation, nous devons lâcher le partenaire. Alors, l’absence se transforme imperceptiblement en mystère de la présence. Du moins, nous prenons conscience que l’absence de Dieu signale l’impossibilité pour nos capacités de compréhension d’appréhender la vraie présence de Dieu.
Selon Thomas d’Aquin, tout ce que nous pouvons dire de Dieu avec exactitude, c’est que Dieu est, mais non ce qu’il est. Dieu n’est donc pas sans lien avec le mystère que nous sommes pour nous-mêmes. S’il est vrai que Dieu reste toujours un mystère pour nous, il est vrai également que nous sommes un mystère pour nous-mêmes. Le mystère, finalement, est celui d’exister tout simplement, que toute chose existe. Cet émerveillement est une faculté humaine fondamentale et, selon Aristote, la clé de voûte de la philosophie. La merveille d’être humain est dépendante de la merveille du mysterium divin. Ce mystère de Dieu est l’affirmation biblique essentielle sur Dieu. Malgré la somme de pensées et de rituels qu’elle a accumulée, la théologie chrétienne repose sur la connaissable inconnaissabilité de Dieu.
« Si vous avez l’intelligence de ce que vous voulez dire, note saint Augustin, ce n’est pas Dieu ; si vous avez pu comprendre, vous avez compris autre chose que lui. Si vous croyez l’avoir compris, vous êtes le jouet de vos propres pensées. »
Cette humilité (et cet humour) radicale face à l’ineffable mystère de Dieu est le fondement de la tradition chrétienne. Or, du cœur de cette tradition émane une autorité qui libère. Ses maîtres, témoignant d’une sage inconnaissance, d’une humble et docte ignorance, indiquent le chemin conduisant au Royaume.
Méditez pendant trente minutes
Rappelez-vous : Asseyez-vous. Restez immobile et le dos droit. Fermez doucement les yeux. Soyez détendu mais vigilant. En silence, intérieurement, commencez à dire un mot unique. Nous recommandons le verset de prière « Maranatha qui signifie « Viens, Seigneur » en araméen. Récitez-le en détachant chaque syllabe. Ecoutez-le tout en le disant, doucement, mais sans discontinuer. Ne retenez et n’entretenez aucune pensée, aucune image, spirituelle ou autre. Laissez passer les pensées et les images qui surgissent. Ramenez simplement votre attention – avec humilité et simplicité – sur la répétition intérieure de votre mot dans la foi, du début à la fin de votre méditation.
Après la méditation
Rumi, “The Level of Words”, extrait de The Soul of Rumi: A New Collection of Ecstatic Poems, traduction anglaise de Coleman Barks, New York, Harper SanFrancisco, 1991, p. 77.
Le niveau des mots
Dieu a dit : « Les images liées au langage humain ne me correspondent pas,
Mais ceux qui aiment les mots doivent en user pour s’approcher. »
Souviens-toi simplement que c’est comme si tu disais du roi : « Il n’est pas un tisserand. » Est-ce vraiment une louange ? Quelle que soit cette déclaration, les mots se
situent à ce niveau-là de connaissance de Dieu.
Texte tiré de la newsletter de http://www.wccm.fr/ -> link