Attablé avec mes filles dans un petit chinois de quartier, une bande de pré-ados campent devant l’entrée du restaurant. Ils parlent trop fort et se trémoussent comme des andouilles. Submergés par des hormones auxquelles leur corps n’est pas encore habitué, ils ne tiennent pas en place. Les filles, imitant leur mère, expérimentent le balancé de mèches au regard pas innocent. Les mecs, pas insensibles à la tentative, gloussent comme des oies.
Mes filles observent le spectacle avec attention. Aussi interloquées que je le suis. Je surveille leurs petites bobines bien sage et bien obéissantes. Mais pour combien de temps ?
Combien de petites années avant que ce soient-elles devant le restaurant, dans la meute, à hurler comme des folles ? Combien de temps avant qu’elles ne vomissent l’amour de leurs parents ? Combien de temps encore, le vent dans leurs cheveux les grisera quand elles se mettent à courir ?
Combien de sacrifices faudra-t-il faire pour ne pas être ce salop de père qui ne comprend rien ? Et combien de temps avant qu’un prince, qu’elle croiront charmant, ne vienne subtiliser l’amour vrai et inconditionnel qui nous lie ?
Combien de temps avant le gros chagrin, où inconsolables d’avoir aimé, elle comprendront peut-être qu’un homme ne peut aimer autant qu’un père ?