Magazine Journal intime

L'écorce intérieure

Publié le 25 octobre 2009 par Lephauste

Pourquoi les heureux que je croise dans mes promenades nocturnes ont-ils au front la marque des aliénés ? Le rictus des sourcils palissade l'aveuglement, la marque même de leur enfer quotidien ? Ils parlent seuls. Oh celui là est un peu cinoque, y cause tout seul. Quand j'étais enfant, voila ce que j'entendais à propos des quelques frapadingues qu'on laissait divaguer dans les rues. Il y avait bien des asiles mais l'idiot de village n'était pas encore celui par qui passaient tous les fantasmes de normalité répressive; Il divaguait, il avait sa nef et une fois l'an tout le monde se mettait au diapason de sa navigation et faisait le neuneu. C'était carnaval.

Ils parlent seuls. Hier au soir, j'allais fol, me trimbaler, je cherchais au ciel tourmenté de tempête, l'éclat de Vénus dans le foutoir des nuages galopant. Je remontais donc par la rue du cimetière vers le stade et les jardins d'oeuvriers où l'on ne voit plus, en cette saison que des pieds de chou-vache et quelques roses résistantes à la pression morose, le triste feu des futurs chrysantémes. La Viorne pâlit d'argenture mais je dirais cela plus tard, si vous permettez... Je vais lent, c'est que mon combustible est un lointain lampion de gaze auquel indéfectiblement j'ai allumé mon coeur ... Je digresse encore et m'éloigne de mon sujet, je momologue. Mais j'arrive pourtant à l'angle du chemin de la Bassinette. Là, j'entends bien que l'on se salue avec force formules joyeuses. Inutile de les retranscrire ici, vous faites de même quand quelqu'un qui vous aime vous demande comment vous vous portez de son amour. J'avance à la suite, pas ralentis, je mets de la distance, l'intimité d'un tel bonheur me force à faire celui qui n'y est pas puisqu'il ne me concerne que par le fait que je me sens souvent heureux du bonheur des autres. Et puis, pourtant, la longue silhouette qui me précède semble elle aussi dans la nuit, comme unique. Il parle seul. Un fol de plus, je me dis-je; Parle avec je ne sais trop quel dieu, un diable le pique, le ton monte, et les questions fusent, l'inquiètude bouleverse. et voila qu'entendant mon pas derrière le sien il se retourne et que je vois luire à son oreille la folie convenable d'un appareil d'où il semble qu'on lui parle. Un sonotone céleste, la voix de son dieu contrariant. Un dieu bleu comme le voyant bleu qui rien n'éclaire puisqu'il clignote, tachycardie des émotions artificielles.

Nous allons ainsi, parlant seuls et correctement corrects puisqu'équipés du tout dernier cri de notre solitude socialisée. et au creux de notre cou plus un souffle ne vient portant les mots qui au creux de notre oreille disent ces choses par lesquelles nous sommes les heureux d'un monde qui ne se méfiait pas d'être aimé de près, de tout près. Une plainte tient lieu de langage, la langue ne réchauffe plus rien en nous depuis qu'elle n'est plus portée que par les ondes à haute fréquence du bouillonnement infernal. Nous sommes sur écoute et les heureux que je croise s'en porte bien puisque personne ne les écoute plus que quand ils geignent et s'alarment. L'écorce intérieure leur a poussé, ils ne savent plus depuis quand , elle a tout gagné. Plus rien ne vibre que la machine qui remplace si bien le sens, en ce qu'elle vibre à la place de tout ce qu'ils redoutaient. Leur sublime et aimable sauvagerie.


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