Comme tout un chacun, j'avais une vision propre du monde carcéral. J'avais, je peux le confesser, un regard critique à l'encontre de ceux qui vivaient dedans. Lieu qui renfermait tout le miasme du genre humain, toute l'émanation morbifique de l'espèce: voleurs, violeurs, assassins, et escrocs de tout acabit. Il ne m'était jamais venu à l'esprit de passer un séjour, fût-il court, dans un endroit pareil. (...) En bon citoyen français, je ne redoutais pas les hauts murs qui étaient réservés au chiendent que la société parquait en pensant qu'elle avait assez d'humanité pour ne pas les exterminer. Il y avait pour moi, en ce temps-là, de la grandeur à écarter de tels individus jusqu'à m'entendre dire: J'mourrai plutôt que d'aller en prison... Mon idée était bien arrêtée, définitive, la mort étant préférable à l'enfermement, à un monde clos où la violence devait être quotidienne, une survie permanente pour ne pas se faire sodomiser dans un coin par une bande de sales gueules; comment survivre au milieu des cafards sans risquer de me faire faire une boutonnière ou un sourire élargi?
J'étais l'archétype du beauf qui avait des avis sur tout sans jamais douter de leur véracité. D'ailleurs j'aurais cogné si on m'avait contredit. J'étais ça! Haineux envers ceux qui volaient, agressaient les p'tites vieilles, violaient les p'tites filles... Ils étaient à mettre tous dans le même sac, bons à noyer comme une portée de chats, au fond d'un puits recouvert de parpaings pour étouffer leurs cris. Je me souviens que cet avis était courant dans mon environnement. A la campagne on ne s'embarrassait pas de fioritures ou de scrupules, le discernement était vite fait. L'amalgame était facile et arrangeait tout le monde, et puis, qui pouvait avoir de la compassion pour des taulards?
Joël
Paroles de détenus - Librio n° 409