I.- Nous avons récemment fait écho aux ennuis judiciaires occasionnés par une association laïque au maire de la commune de Saguenay, au Québec, M. Tremblay. Il lui est reproché, on le sait, d’avoir commis ce sacrilège anti-laïc de dire une prière pour ouvrir les délibérations de son conseil municipal.
Voici qu’en écho lointain, une autre commune, espagnole celle-là, a pris, à l’encontre du climat totalitaire de ces temps mauvais, une peu ordinaire décision.
La commune de Caravaca [province de Murcia], dont le maire est M. Domingo Aranda, a décidé, par une réunion plénière de son conseil municipal, de nommer le Pape Benoît XVI “Fils adoptif” de la ville.
Le maire est aujourd’hui même à Rome, avec l’évêque de Cartagena, Mgr José Manuel Lorca Planes, le vicaire général du diocèse, le “Grand Frère” de la Royale et Illustre Confraternité de la Vraie Croix, M. José Luis Castillo, et une trentaine de citoyens de la ville. Il y a remis ce matin au Saint-Père, à l’audience papale du mercredi, le titre correspondant à sa nomination ainsi qu’une chasuble brodée.
Cet après-midi, la délégation sera reçue par l’Ambassadeur d’Espagne auprès du Saint-Siège, M. Francisco Vázquez.
[Source]
Voilà qui devrait donner du cœur – si nécessaire – à M. Tremblay, que nous saluons ici, et des aigreurs d’estomac à
ses détracteurs [Photo ci-dessus : Caravaca de la Cruz].
II.- Il faut dire que cette commune de quelque 26.000 habitants n’est pas ordinaire. Son nom complet est Caravaca de la Cruz [de la Croix] et elle est comptée parmi les cinq villes saintes de la Chrétienté après Jérusalem, Rome, Santo Toribio de Liébana et Saint Jacques de Compostelle. Caravaca jouit en effet, comme ces dernières, par décision du Pape Jean-Paul II [9 janvier 1998], du privilège perpétuel de pouvoir célébrer un Jubilé – c'est-à-dire une Année sainte – tous les sept ans.
Rappelons que le Jubilé, conçu à l’image de celui de l’ancienne Alliance [Lévitique 25,10 (1)] est une période spéciale pendant laquelle l’Eglise offre aux fidèles l’occasion de gagner une indulgence spécifique pour la rémission des peines temporelles dues à leurs péchés personnels. Cette grâce prend un relief très spécial en cette période où nous nous apprêtons à commémorer les fidèles défunts et où nous méditons, avec le saint Curé d’Ars, sur le Purgatoire. Le premier Jubilé chrétien eut lieu en 1300, à l’initiative du Pape Boniface VIII, alors que le pèlerinage en Terre sainte n’était plus possible.
Le prochain Jubilé de Caravaca, précisément, aura lieu en 2010, qui est appelé “l’Année sainte de la Très sainte
et Vraie Croix”. Il sera célébré dans le sanctuaire de la Sainte-Croix, où se trouve
conservé un fragment de la vraie Croix, fragment qui reçoit dans la cité un culte ininterrompu depuis
près de 800 ans. Ce fragment est conservé dans un reliquaire oriental en forme de croix, à
une branche verticale et à deux branches horizontales, qui aurait appartenu au patriarche Robert,
évêque de Jérusalem (1099).
Le fragment est désigné comme “Vraie Croix” depuis le Moyen-Age et “Très Sainte” depuis le XVIIIème siècle. L’encouragement de son culte, qualifié de “latrie” (2)
en 1736, a été l’objet de nombreux documents pontificaux depuis le
14ème siècle [ci-dessus : la "Très sainte et Vraie Croix" - désignation
officielle reconnue par l'Eglise]
La dévotion à laquelle nous invite le geste hautement symbolique du maire de Caravaca de la Cruz n’est pas uniquement relative au Purgatoire et à la rémission des peines dues à nos péchés. Elle nous rappelle aussi au mystère eucharistique. En effet, cette même croix à été l’instrument, ou l’objet, d’un miracle eucharistique.
Le Père Gilles de Amora, historiographe du roi saint Ferdinand [dont nous avons évoqué la vie sur Hermas], raconte qu’un prêtre du nom de Ginés Pérez Chirinos, de Cuenca, se rendit un jour – comme le fit saint François d’Assise – chez les Maures du royaume de Murcia pour y prêcher le Christ. Capturé, il fut interrogé par le roi lui-même, Zait-Abu-Zait, en particulier sur la religion chrétienne. Comme le prêtre n’avait rien pour ce faire, le roi ordonna qu’on allât chercher à Cuenca le nécessaire – ce qui fut fait, à l’exception de la croix d’autel, qui fut oubliée. Le prêtre commença alors à célébrer les saints Mystères devant le roi mais se troubla en se rendant compte de cet oubli. Le roi, surpris, lui demanda la raison de ce trouble, et comme le prêtre la lui indiquait, le prince musulman lui répondit: - «Mais, ce n’est pas celle-là?» Une croix venait en effet de descendre sur l’autel, que l’on dit être celle du patriarche de Jérusalem. Le prêtre poursuivit son office et, au moment de l’élévation de l’Hostie, le roi maure y vit le visage d’un enfant, qui lui souriait. Il se convertit au christianisme, sous le nom de Vicente, ainsi que toute sa famille. C’est depuis lors que la commune porte le nom de Caravaca de la Cruz.
L’anecdote mérite en passant d’être soulignée, pour l’instruction de notre époque, qui connaît une nouvelle confrontation du christianisme et de l’islam. Il fallait que ce prêtre eût une très haute idée des saints Mystères qu’il célébrait pour susciter une telle curiosité d’un musulman, et le miracle lui-même interroge cruellement la médiocrité et la platitude humaniste de tant de “célébrations eucharistiques” contemporaines. Il fallait qu’il eût aussi une très haute idée de ce qu’il faisait pour se sentir troublé de l’absence de crucifix d’autel, dont tant de prêtres aujourd’hui s’accommodent si légèrement malgré, d’ailleurs, l'exemple donné par le Pape et les rappels en son nom de Mgr Marini (3).
Le purgatoire, les fins dernières, la rédemption par la Croix et le culte de cette
dernière, la divine présence aimante du Christ dans l’eucharistie, la vertu évangélisatrice des saints Mystères lorsqu’ils sont dignement célébrés, le respect des rubriques liturgiques. C’est
tout un programme pour notre temps.
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(1) Lévitique 25,10: "Vous déclarerez sainte cette cinquantième année et proclamerez l'affranchissement de tous les habitants du pays. Ce sera pour vous un jubilé : chacun de vous rentrera dans son patrimoine, chacun de vous retournera dans son clan."
(2) Le culte de latrie (adoration) est celui qui n'est dû qu'à Dieu seul, par opposition au culte de dulie (honneur) que l'homme peut rendre aux saints, et par excellence à la Vierge Marie.
"Si nous parlons de la croix même sur laquelle le Christ a été cloué, on doit la révérer (...) parce qu'elle nous présente la figure du Christ étendu sur elle, et aussi parce qu'elle a été touchée par ses membres et inondée de son sang. Pour ce double motif nous devons lui rendre le même culte de latrie qu'au Christ lui-même", à la différence des simples effigies (s. Thomas d'Aquin, Somme de théologie, 3a pars, art. 4).
"Saint Thomas attribue à la croix le culte de latrie, qui est le culte suprême : mais il s'explique en disant que c'est une latrie respective, qui dès là en elle-même n'est plus suprême, et ne le devient que parce qu'elle se rapporte à Jésus-Christ. Le fondement de ce saint docteur, c'est que le mouvement qui porte à l'image est le même que celui qui porte à l'original, et qu'on unit ensemble l'un à l'autre. Qui peut blâmer ce sens ? Personne sans doute" (Bossuet, Lettre à Frère N., moine de l'abbaye de N., converti de la religion protestante à la religion catholique, sur l'adoration de la Croix).
(3) Commentant cette pratique, Mgr Guido Marini, Maître des Cérémonies pontificales, avait rappelé que le Mystère eucharistique est tourné vers le Christ et que « c'est le sens de la Croix placée sur l'autel, qu'il soit ancien ou moderne, et tournée vers le prêtre : elle indique la place centrale occupée par le Crucifié, et la direction exacte qui doit capter l'attention des fidèles au cours de la Célébration Eucharistique » (Osservatore Romano du 26 juin 2009).