Mais
considérons encore quelle a été sa rare prudence dans les jugements qu’il
portait sur les dispositions intérieures des hommes; prudence admirable qu’il
n’avait acquise que par une obéissance très parfaite. Dans le temps qu’il
demeurait au monastère de Saint-Sabba, trois moines se présentèrent à lui pour
se mettre sous sa discipline. Il les reçut avec une affection toute
particulière, et fit tout ce que sa charité lui suggéra pour les remettre de la
fatigue du voyage; mais après trois jours, ce saint vieillard leur adressa ces
paroles : «Mes Frères, leur dit-il, je ne suis qu’un misérable pécheur; il
m’est donc impossible de vous accorder ce que vous me
demandez.»
Ces moines ne donnant aucune suite à cette réponse, ni à la
raison qu’il alléguait, le prièrent avec, instance de les recevoir au nombre de
ses disciples : tant était grande l’idée qu’ils avaient de sa vertu ! Mais,
comme ils virent que rien ne pouvait le fléchir ni le gagner, ils se
précipitèrent tous à ses pieds, et le conjurèrent avec instance de leur donner
au moins quelques règles salutaires de conduite et de leur dire de quelle
manière et dans quel lieu ils devaient passer le reste de leur vie. Cédant
alors à leurs voeux ardents, et sachant d’ailleurs qu’ils recevraient ses avis
avec soumission et humilité, ce saint vieillard dit à l’un d’eux : "Mon fils,
il est agréable au Seigneur que vous viviez dans la solitude, sous la direction
d’un père spirituel." Puis s’adressant au second : "Pour vous, lui dit-il,
allez et consacrez au Seigneur votre volonté, sans vous en rien réserver,
chargez-vous de la croix qu’il vous a destinée; vivez dans un monastère, au
milieu de la société des frères, et vous aurez indubitablement un trésor dans
le ciel." Enfin il dit au troisième : "Quant à vous, il faut qu’il n’y ait pas
un instant dans votre vie, où vous ne pensiez à cette sentence de notre
Seigneur : Celui qui persévérera jusqu’à la fin, sera sauvé (Mt 10.22); allez
donc, et faites en sorte que parmi tous les hommes il n’y en ait point qui
soient plus sévères ni plus pénibles que celui que vous prendrez pour maître et
pour conducteur dans la vie religieuse; ne vous séparez jamais de lui, et
chaque jour avalez, comme du lait et du miel, les mépris et les humiliations
par lesquelles il vous fera passer." À ces paroles, un frère répartit à ce
grand homme : Mais si ce père spirituel vivait dans la paresse et la
négligence, que faudrait-il faire ? — "Quand même vous le verriez, lui
répondit-il, tomber dans quelque faute qui vous ferait horreur, demeurez avec
lui et contentez- vous de vous dire à vous-même : Mon ami, qu’es-tu venu faire
ici ? Alors triomphant de la tentation, vous sentirez toute l’enflure de
l’orgueil tomber et s’évanouir, et le feu de la concupiscence diminuer et
s’éteindre."
saint Jean
Climaque : L'Échelle sainte
«De la bienheureuse
et toujours louable obéissance»