Nessus

Publié le 31 octobre 2009 par Lephauste

Se fier à l'un, se fier à l'autre mais à aucun des deux ne confier que l'on ne peut être l'un sans être tout à fait l'autre. Et vivre des tristesses de l'un et des envolées galopantes de l'autre sans que ni l'un ni l'autre n'aient à se lamenter de voir l'autre tomber au bout du champ labouré de la page, dans la poussière mordorée du soleil, que tel un grain d'orge on a enfouit, comme blé d'hivers. L'un m'avait dit qu'il savait un gué, l'autre ne voyait que le tumulte et l'enfer des traversées sans fin. Le premier mit donc son pied sur la première pierre plate tandis que l'autre resta assis sur la berge, qui peu à peu se diluait sous les saules. Pour l'un j'avais un licol, une cravache, et des mots de cavalerie. Pour l'autre je n'avais plus que quelques compassions, une patience perdue fil à fil, un écheveau de laine cardé  par l'usure qui rend immobile. La seconde pierre branlait, divisant en langues d'eau verte l'humus et l'humeur, l'un gras du mol des souvenirs, l'autre au sang noir de la mélancolie, reflet de rien que des éclats meulés de la rumeur. Le premier prit son second appuis puis un troisième, le second se laissa glisser sous la chevelure du saule. Du premier le pas s'assurait, au second vinrent des illusions amniotiques. De l'autre côté, après que tout fut franchit, une rive se fit jour. Dans son lit de pierres muettes, le fleuve baignait le soleil à son couchant. Se fier à l'un, se fier à l'autre mais à aucun des deux ne confier que l'on veut être un, sans l'un ni l'autre.

(Pour le repos de Pierre Ollivier)