éditions Buchet-Chastel, 2009.
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ENTRE CES DEUX MOMENTS-LÀ
Cela commence ― presque ― avec un orage de juillet. Un orage d'une violence à secouer la nuit les bêtes les hommes. Cela commence avec Annette dont le regard découvre ses étonnements face à un monde inconnu, confit en inébranlables certitudes. Un univers hostile, fermé par les « rugueuses inclinations de ses habitants ». Cela se clôt ― presque ― sur le déferlement de mots qu'Eric, onze ans, le fils d'Annette, « silencieux par nature », avait lâché d'un trait à la fin du repas, un dimanche soir, à sa mère et à Paul, le compagnon « encombré d'images rugueuses », qui l'avaient écouté en silence. C'était au sujet de la grand-mère, que l'on avait abandonnée à Bailleul dans le Nord, tandis qu'Annette et son fils avaient rejoint Paul et Fridières, dans le Cantal, la ferme et ses gens, ses silences et ses solitudes.
Entre ces deux moments, celui de l'orage de juin avec « cette lutte contre la marée galopante qui, dès le milieu de l'après-midi, sourdait de toutes parts, et ne refluait pas, ne cédait pas » et cet autre moment de la fin juin, un an plus tard, où Eric avait forcé « les steppes du silence » de sa mère en lançant le plaidoyer pour sa grand-mère qu'il faudrait installer à Condat avant l'hiver, dans un appartement à proximité du collège, entre ces deux moments-là, il y avait eu l'annonce. Celle qui donne son titre au roman de Marie-Hélène Lafon ; celle qui avait permis à Annette et à Paul de se rencontrer, à Nevers, un jour de novembre. Qu'est-ce qui aurait pu raccommoder un jour d'hiver deux solitudes aussi opposées que celle de la petite « caissière au Leclerc de Bailleul », meurtrie par le cataclysme de sa vie antérieure, et celle du paysan de Fridières qui ne se résignait pas à filer sa vie dans le célibat, sinon ce billet passé par Paul dans un journal ? Peut-être dans Le Chasseur français auquel les gens de Fridières étaient abonnés. Billet lu et ruminé digéré, là-haut, dans le Nord, par Annette qui avait pris son courage à deux mains. Et avait répondu à l'annonce, décidée qu'elle était à changer enfin de vie.
Autour de L'Annonce, titre banal (et inachevé ?), se tisse, en même temps que l'encordage de Paul et d'Annette, l'histoire antérieure au rapprochement de leurs deux solitudes. Comment tresser ensemble deux passés aussi disjoints ? Comment intriquer le passé de l'un dans le passé de l'autre ? Annette s'efforce de « déchirer les images » du Nord, de repousser son passé cabossé avec Didier. D'accepter le passé de Paul, « l'homme de l'annonce », flanqué de ses deux oncles et de sa sœur Nicole, tous trois suspicieux à son égard et peu enclins à l'accueillir, elle et son enfant, dans leurs habitudes. Il faudrait apprendre à composer avec eux tous. Avec la « guerrière » Nicole surtout, « la gardienne de Fridières, la grande prêtresse de la religion du pays » et avec cet homme, cet agriculteur qui avait décidé de l'installer avec lui à son étage. Il faudrait avec tout cela apprivoiser les corps. Il faudrait à Annette de la patience et du courage.
Peu à peu les jours s'emmêlent, la vie s'organise, qui tient chacun dans son rôle. Annette creuse son trou dans l'espace qui lui est concédé ; puis, s'enhardissant, se fait des amies à l'extérieur de la ferme ; rapporte un peu d'argent ; confectionne des gâteaux le dimanche. Et se résigne au silence ordinaire de Paul. Quant à la passion partagée d'Eric et de la chienne Lola, elle contribue à adoucir la vie, à élargir l'horizon, à pacifier les humeurs. Peut-être y a-t-il encore, dans ce village « confit en ordinaire insularité », un espoir, un espoir d'ouverture qui permette aux hommes de ce pays de sortir du « vertige de leur solitude ». « Du temps apprivoisé » commençait à rouler. Cet espoir, c'est Eric qui le porte en lui. Espoir en germination dont on sent les prémisses poindre à travers les projets et les phrases qui les accompagne, ces « phrases longues qui épuisaient le souffle et ne voulaient pas finir ». Laissant Annette à son étonnement et à sa réflexion.
Par-delà l'histoire de cette rencontre amoureuse étrange, ce qui émeut et bouleverse, c'est la plongée dans un monde rural oublié depuis les grands romans cosmiques de Jean Giono. Un monde rendu ici à sa rugueuse beauté par la beauté de la langue de Marie-Hélène Lafon. Cette langue que l'on croyait disparue à jamais, ressurgit dans ce roman au style ouvragé. « C'était de tout temps, cette confluence de juin, ce rassemblement des forces, lumière vent eau feuilles herbes fleurs bêtes, pour terrasser l'homme, l'impétrant, le bipède aventuré, confiné dans sa peau étroite, infime »...
Souple et poétique, musicale, la langue de L'Annonce est enlevée, colorée, grâce à l'intrusion de discours indirects libres qui mêlent les échanges de la conversation ordinaire, rythmée par des énumérations que la ponctuation ne vient pas interrompre. Énumérations ― ternaires, souvent ― enchâssées dans d'autres énumérations, ponctuées de virgules. « Les deux tilleuls dans la cour, l'érable au coin du jardin, le lilas sur le mur, tout bruissait frémissait ondulait ; c'était gonflé de lumière verte, luisant, vernissé, presque noir dans les coins d'ombre... »
Ce balancement régulier ― où alternent absence de ponctuation et ponctuation ― donne aux descriptions un souffle intérieur, une respiration envoûtante. Et au texte un phrasé visuel qui agit comme un charme.
« Elle apprenait la lumière qui réveillait chaque chose, l'une, l'autre ensuite, visitée prise nimbée ; les prés, les arbres, la route en ruban bleu, les chemins tapis, les vaches lentes et les tracteurs matutinaux, cahotants, volontiers rouges. »
« Volontiers rouges » ? L'espoir n'est-il pas aussi du côté d'Annette dont le regard s'aiguise, la sensibilité s'affûte, épurée par les « vents cathartiques » de ces contrées sauvages ? Annette qui attire à elle toute la tendresse qui la lie à ses lecteurs, au-delà du final que domine la « glorieuse » Nicole dont le triomphe appartient désormais au passé.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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