Mgr Chafik : Les chrétiens d'Orient et la Diaspora

Publié le 03 novembre 2009 par Hermas

Nous accueillons ici avec joie, une nouvelle fois, Mgr Chafik, qui nous fait l'amitié de republier sur Hermas.info cet article, qui aborde un problème peu connu chez nous autres latins mais qui affecte l'ensemble des communautés chrétiennes orientales.
Mgr Michel Chafik La Diaspora: vitalité évangélique * Héritiers d’une grande tradition, les orientaux ont pleine conscience de leurs origines dans la fidélité à leur foi et à leur culture chrétienne, ils se trouvent dans tous les continents: les Amériques, l‘Europe, l‘Australie, l‘Afrique et l‘Asie et surtout les pays du Golfe. L’histoire de leur émigration est bien longue. Selon mon expérience pastorale comme recteur de la Mission copte catholique, (neuf ans à Montréal et trois ans à Paris), nous la décrivons selon l’ordre des causes de leur arrivée dans les deux continents.

Pourquoi la diaspora

Le départ est un choix difficile, douloureux; et c’est une décision qui a des causes réelles, principalement économiques, car on ne choisit pas de quitter son pays sans raison. Émigrer est souvent la seule solution à ce dilemme. Donc l’émigration de profit, de logique commerciale et économique, est devenue une émigration de survie, de fuite et de renonciation. Par ailleurs, les interdits sociaux, l’insécurité politique, la négation des libertés ont entraîné une émigration importante aux conséquences multiples.

Actuellement, les exactions des fondamentalistes musulmans et leurs agressions contre certaines églises et communautés ont  transformé l’émigration, longtemps temporaire et toujours volontaire, en exil obligatoire, unique échappatoire aux massacres ou seule issue à des guerres où les chrétiens se reconnaissent mal et dont ils sont les victimes uniques et résignées.

La montée de l’intégrisme en Proche Orient et la ségrégation à l’encontre des chrétiens  ne peuvent que renforcer chez eux le sentiment d’être des marginaux, alors qu’ils savent qu’en Europe ou en Amérique ils deviendront vite des citoyens comme les autres. Nombreux sont les intellectuels, les membres des professions libérales qui quittent le pays. Donc, l’émigration répond aux souhaits d’une sécurité matérielle, aux mirages d’une terre supposée plus facile.

Aujourd’hui, l’implantation en diaspora devient de plus en plus fréquente et l’émigration s’est poursuivie de façon assez continue, mais avec deux vagues plus marquées: celle des années 60-70 et suivantes. Le grand perdant dans tout cela, c’est leurs pays natal. Mais on ne sait pas comment le Seigneur voit les choses. Peut-être a-t-il choisi de montrer le christianisme en diaspora, à l’extérieur de l‘Orient. Peut-être veut-il rechristianiser les pays qui se laïcisent? Au lieu de disserter sur l’obscurité de la diaspora, ne doit-on pas allumer la lumière de la vitalité évangélique?

Cette vitalité évangélique se manifeste à différents niveaux:

1- Au plan spirituel : La foi : chez les orientaux la religion fait partie intégrante de leur identité, au-delà de la pratique. Ainsi nous ne croyons pas aux orientaux qui se qualifient athées car l’oriental s’identifie avant tout par son Église.” Ils sont venus les mains nues, la tête emplie de cauchemars, mais la foi chevillée au cœur1. Ils gardent leur sensibilité dans l’expression de leur foi telle que l’ont exprimée et vécue leurs pères depuis le début du Christianisme. Ils sont les descendants des apôtres et des martyrs: ils viennent en droit fil de la primitive Église et ils restent les communautés des martyrs, une Eglise-témoin. Cette spécificité est enrichissante pour toute l’Église qui est Une mais à multiple facettes.

Pendant ces années, la présence, en diaspora de l’église orientale a enrichi l’Occident par sa spiritualité profonde, a permis aux chrétiens d’Occident de découvrir à nouveau cette richesse spirituelle des traditions orientales, jusqu-là réservée à quelques érudits. Elle fait connaître au monde occidental le patrimoine unique de l’église orientale et son aspect missionnaire. Ils sont les témoins d’une expérience unique qui représente selon les mots du cardinal Jean-Marie Lustiger “un véritable trésor de la foi”.

Tous les orientaux catholiques ou orthodoxes font baptiser leurs enfants mais toutes les communautés souffrent terriblement de la laïcisation de la société occidentale. Devant ce phénomène de sécularisation et de désacralisation, les chefs religieux  demandent  de maintenir ces communautés dans ses spiritualités profondes et enracinées.

Un nombre de plus en plus élevé de chrétiens fréquente régulièrement l’église du “quartier” ou l’église la plus proche de leur domicile sans distinction stricte de rite. Ils réservent à leur propre église les grandes célébrations et les actes officiels du baptême, du mariage et de l’enterrement. Les bons prédicateurs attirent des fidèles de tous les rites.

Beaucoup d’orientaux catholiques du secteur habitent loin, ne se déplacent pas et suivent l’office dans les paroisses latines.“Vous avez, vous, nos chers fils de Paris, un rôle particulier. En cette ville de lumière, plaque tournante du monde de l’esprit, vous avez, vous Orientaux en Occident, une mission religieuse précise: informez-vous, informez vos frères. Restez groupés autour de votre Église et cherchez partout à établir des contacts, à jeter des ponts2

2- Transmettre la foi et la tradition aux enfants : Des décennies ont passé.. les fils de ces émigrés ont reçu en héritage sagesse, dignité, amour du travail et attachement aux racines. A leur tour, ils les transmettent à leurs enfants, qui légueront aussi les valeurs de leur vieux peuple. Ils construisent des églises, des associations à vocations diverses culturelles (comme le scoutisme, et les clubs de jeunes), spirituelles (comme les cours de catéchismes et la chorale), humanitaires, politiques..), des écoles, des centres culturels.. où la vie de la communauté se perpétue dans la tradition sans empêcher de vivre au rythme du monde et d’être intégrés dans la vie de la cité. Ils organisent beaucoup d’activités associatives qui sont également des lieux de formation et qui permettent d’organiser une certaine convivialité dans la communauté et de créer une atmosphère familiale. Au niveau de la formation, ils proposent des cours de catéchisme pour leurs enfants.

3- Le rôle des clercs et des laïcs : le fidèle joue un rôle important dans la vie de la communauté, ce qui la dynamise et responsabilise les fidèles .“Certains d’entre nous, notamment les jeunes, s’éloignent petit à petit de leurs racines, cultures et origines. Il faut absolument remédier à cette dispersion. Cela ne conduira qu’à la disparition de notre identité. Chacun de nous doit se sentir concerné par la vie de notre Église et apporter toute l’aide dont il est capable3.

Le rôle des hiérarchies religieuses  envoyées  est essentiellement d’organiser, vitaliser la diaspora et veiller à donner aux enfants une double identité par le respect de leur tradition et par le respect de leur culture d’accueil. Mais les communautés orientales n’échappent pas à la lente déchristianisation qui s’est emparée de l’Occident. “Il appartient au prêtre de raviver les consciences, de rappeler les valeurs essentielles, de faire entendre les messages du Christ dans un monde où le veau d’or est roi; dans cette affaiblissement spirituel nous devons nous adapter, tenter d’évoluer, nous, clercs et fidèles, pour imaginer une nouvelle expression de la foi”4

Au niveau de l’apprentissage de la langue, le rôle des prêtres et pasteurs est fondamental car ils lisent français ou anglais et la langue d’origine pendant les cultes. Ils donnent des cours de la langue d’origine mais ces groupes malheureusement, diminuent d’année en année.

4- Solidarité à l’intérieur de la communauté

Depuis l’arrivée des émigrants en Occident, les communautés orientales ont créé un réseau de solidarité à l’intérieur de l’église. L’aide consiste dans l’accueil chaleureux et la présence fraternelle (accueil à l’aéroport et visite dans leurs petites maisons), comme l’écrivit Lily Tasso dans “La Presse”, le 8 septembre 1985, “immigrants et réfugiés, venus principalement du Proche-Orient qui ont trouvé ...., au sens le plus charitable du terme, un havre et de l’aide. Quel que fût leur rite ou leur confession, musulmans et même juifs, ils frappaient à la porte du presbytère.. , Dès leur arrivée, ils téléphonaient de l’aéroport, parfois même d’Égypte ou du Liban, sûrs qu’ils seraient accueillis à bras ouverts.“. L’aide s’est élargie par une aide alimentaire, vestimentaire, financière, un toit et la dignité dans le travail, dans l‘instruction, dans les loisirs et dans l‘identité retrouvée,“Identité au milieu des accueillants, par eux et avec eux5

5- Relation oecuménique

Tout ce qui précède abouti  au dialogue, à la rencontre et à la reconnaissance d’autres chrétiens venus eux aussi chercher refuge en Occident. Ainsi se tissent les relations oecuméniques, des échanges nombreux entre les églises latines et les Orientaux  comme les journées d’amitié et de prière par exemple pendant la prière la semaine de l’unité ou des missions. Nombreuses sont les paroisses latines qui acceptent de prêter leur église à leurs frères d’Orient, catholiques ou orthodoxes.  ”La communauté a recherché un lieu pour se retrouver dans sa foi commune et a trouvé l’hospitalité du clergé de l’église Saint-Sulpice où les prêtres, avec beaucoup d’amitié, beaucoup d’amour et de bonne volonté, nous ont prêté la crypte de Saint-François d’Assise, puis la crypte du Rosaire. Je suis très reconnaissant au clergé de Saint-Sulpice de ce geste et très ému de ces rapports fraternels quotidiens, comme le symbole de l’amour entre chrétiens6.

Entre l’Église latine et l’Eglise orientale catholique, des liens fraternels s’établissent pour une meilleure connaissance des uns et des autres et une collaboration entre les deux pasteurs dans le cadre de l‘ordinariat des catholiques des rites orientaux en France. L‘ordinaire est le Cardinale Lustiger et son vicaire général Mgr Gervaise.

Entre les autres communautés orientales, les liens sont fréquents et amicaux. Elles s’aident dans les démarches administratives très difficiles pour celui qui ne parle pas la langue du pays. On participe à la messe et aux cérémonies officielles. On se rend visite à Noël en particulier et à Pâques. “Nous avons les mêmes prières, la même liturgie, le même patrimoine. Il n’y a finalement que l’étiquette qui change pour parler rapidement7

Pendant cette période, les communautés orientales apportent aux occidentaux une expérience, bien plus ancienne que l‘expérience du pays d‘accueil et une révélation de l‘existence d‘une communauté chrétienne arabe ou arménienne. Elles font elles-mêmes l’expérience de la  vie commune entre français, anglais et arabe, du lien entre le progrès et la tradition et de la coexistence entre le  christianisme et l’Islam. Elles ont, depuis des siècles, payé le prix du respect et de la reconnaissance mutuelle des droits.

Conclusion La diaspora devient vitalité évangélique quand nous nous accueillons dans nos différences, quand chaque communauté imagine l’avenir en étant une église de proximité, adaptée à la vie de pays d’accueil, quand les fidèles ne se sentent pas exclus car ils peuvent avoir une responsabilité dans l‘annonce de l‘Évangile. Quand ils sont conscients de leur culture, de leur héritage mais aussi acteurs du présent pour préparer l’avenir. Or, cela n‘est possible que si nous ne prenons une part active à la mission de l‘église qui est d‘offrir au monde la lumière de l‘Évangile, d‘assaisonner la terre avec le sel de la parole de Dieu. “Le disciple à une responsabilité, une mission dans le monde“. Soucieux de la mission de l‘évangélisation, nous aurons à cœur de partager les dons de Dieu avec ceux et celles qui croiseront nos routes.

                                                                   Mgr Michel CHAFIK

                                                         Recteur de la Mission Copte Catholique

                                                                        Notre Dame d’Egypte de Paris

* Article publié en «revue Mission de lEglise», n°139 avril-juin 2003

1) BILLIOUD Jean-Michel, Les chrétiens d’Orient en France, Le Sarment, Fayard 1997, p.64

2) Idem, p. 115.

3) Hammurabi, septembre 1995. Idem, p.206

4) Idem, p.65

5) Archives de Montréal. La Presse 17 septembre 1985.

6) Entretien avec le père Guirguis Lucas, curé de l’église copte orthodoxe. Idem, pp.156-157.

7) Entretien avec le père Paul Abdou, curé de la paroisse Saint Julien le Pauvre. Idem, p. 128