Magazine Journal intime

Sans origines fixes

Publié le 04 novembre 2009 par Orangemekanik


Etre Française, avant, pour moi, c’était plus facile que d’être Allemande. Parce que je croyais qu’être Allemande, c’était pire. Vu qu’on me traitait de fille de boch. Quand j’étais petite. Des vieux, bien souvent. Et pas forcément des héros de la guerre, pourtant ! Je me souviens notamment de cette institutrice qui m’avait dit devant toute la classe qu’à cause des Allemands, on avait bien failli être tous blonds aux yeux bleus. Que beaucoup de mes petits camarades n’existeraient pas, si ces saletés de boch avaient gagné la guerre. Elle avait cru bon d’ajouter que si mon père n’était pour rien dans toute cette histoire, le père de mon père quant à lui, n’était sûrement pas innocent. Mais moi j’étais petite. Et je me rendais pas compte. Du haut de mes sept ans. C’est cette année là, pourtant, que j’ai décidé de faire croire à tout le monde que mon père était Américain. Mon père. Le vrai. Et s’il n’avait pas eu cet accent à couper au couteau, je suis sûre que tout le monde m’aurait crue. Car mon père était de droite. Donc capitaliste. Forcément.

J’ignorais tout des raisons qui avaient poussé mon père a quitté son Allemagne natale. Tout ce que je savais, c’est qu’il adorait la France. Et surtout les Françaises. Et qu’avec ma mère, ils avaient entretenu une correspondance longue de quatre ans, avant de se voir en vrai. Et de me concevoir. Sans le faire exprès. En cette fin d’été 63. Du temps où l’IVG ca existait tellement pas qu’il avait bien fallu me mettre bas. A force.  

Il avait fallu se marier. Aussi. De gré ou de force. Et avec un Allemand en plus !… Un « boch » comme disait déjà mon Grand père, le père de ma mère, cette fois, et qui bien que vingt ans après guerre, se prenait toujours pour un grand résistant. Il est vrai que pour cet ancien soldat Belge qui racontait en boucle la façon dont il dérobait des gigots à la barbe de l’ennemi et au péril de sa vie pour améliorer l’ordinaire, la pilule était plutôt amère. Mais mieux valait être mariée. Même avec un Allemand… que fille mère. Comme il ajoutait toujours. Sans jamais expliquer pourquoi c’était si mal d’être Allemand. Même sans le faire exprès. Toujours est-il que dans ma tête de fillette, ça devait être super grave. Et c’est sûrement pour ça qu’on m’avait laissée là. Chez mes grands-parents. En Bretagne. Pour me cacher. Puisque malgré les vieilles rancœurs tenaces et autres divagations anti germaniques que mon grand père profanait à longueur de temps, ce sont eux qui, les quatre premières années de ma vie, collaborèrent à mon éducation, et auprès desquels je grandis, dans un univers ultra protégé, entourée, choyée, pourrie, gâtée, loin du vacarme et de l’agitation pré-soixantuitarde qui ébranlait la capitale où mes parents vaquaient à leurs occupations. Ils m’offrirent notamment une jolie petite sœur. Qu’ils remisèrent par devers eux. Quant à elle.

Si mon Grand père était resté bloqué en des temps douteux, ma grand-mère, elle, s’en foutait comme de l’an quarante de toutes ces histoires dépassées du passé. Et dans celles qu’elle me contait le soir, les Allemands devenaient des héros qui lui avaient amené sur un plateau doré un beau prince charmant belge. Comme dans les contes de fée. C’était mon histoire préférée. Une histoire où j’avais moins peur. Et où je pouvais aimer mon père. Comme me l’avait confirmé la maîtresse, donc, quelques années plus tard. Mon père… oui. Mais le père de mon père ? N’avait-elle pas raison ? Quelle sorte d’ADN circulait dans mes veines ? C’était qui ce Hitler qui faisait fureur dans les mémoires ? Qui occupait tous les esprits ? Vingt ans plus tard ? Je voulais juste que ce soit pas lui mon grand père. Que lui et moi, on n’ait pas les mêmes gènes. Que ce soit pas héréditaire tout ça. Je voulais juste savoir qu’il aurait jamais pu faire ça. Tout ce qui se disait. A l’époque, les crimes du troisième Reich, c’était sujet tabou. On parlait pas des camps de la mort entre la poire et le fromage, comme maintenant. Mais Allemand, nazi, SS, Schleus, boch, dorifors… on sentait que pour les gens, c’était presque des synonymes.

Je ne savais rien de ce grand père germanique qui ne s’était même pas déplacé pour le mariage de son unique fils. Tout ce que je savais c’est qu’il était toujours en vie. Et que Hitler avait tué tous les Allemands qu’étaient pas d’accord avec lui. Alors pourquoi pas lui ? Toute ma vie, j’ai attendu le bon moment pour poser la question à mon père qui, insondable, n’abordait jamais ce sujet. Encore moins avec des Français. Précisait-il. C’était trop l’hôpital qui se fout de la charité. Expliquait-il. Ces Français qui avaient bien des choses à régler avec leur histoire. Ces Français qu’il avait fini par détester. Je crois. Comme l’humanité toute entière. Mon père avait un regard à la fois lucide et caustique sur le Monde. Donc très désespéré. Il vivait dans la peur constante d’une troisième guerre mondiale. A cet effet, tout était prêt. Matos de survie au taquet. Dans le placard. Il était toujours prêt à partir. Au cas où. Pour aller où ? Dieu seul le sait. Toujours est-il qu’il l’a laissé. Ce sac de premières nécessités. Quand l’humanité, il a décidé de la quitter. Autrement. Et de façon irrémédiable. A tout jamais.

J’avais jamais pensé qu’un jour il serait trop tard. Si vite. Qu’il me laisserait. Sans jamais rien me dire. Jamais rien m’expliquer. J’avais jamais imaginé qu’un jour, j’allais découvrir par moi-même : la vérité. Peu de temps après son enterrement. En 1984. C’était la première fois que j’allais en Allemagne. La première fois que je voyais mes grands parents germaniques. En vingt ans. J’avais vingt ans.

Mon grand père était un vieil homme fatigué. Ex cordonnier à la retraite. Ma grand-mère, une grosse dame vulgaire qui parlait fort et buvait beaucoup. Enormément d’alcool. Et si de mon côté, je réalisais que cette femme était la mère de mon père, qu’on avait le même sang elle et moi, elle, en revanche, ne semblait pas troublée de voir pour la toute première fois la fille aînée de son fils décédé. Sa petite fille. Et même si je m’attendais pas à des débordements d’affection, j’étais loin d’imaginer une telle froideur. Chez eux c’était glauque comme dans un épisode de Derick. Ils ne parlaient Français ni l’un ni l’autre. Je ne comprenais pas un mot d’Allemand. Seule ma tante, la sœur cadette de mon père, qui avait elle aussi quitté l’Allemagne et vivait en Autriche avec un cuisinier Français de Cogolin de vingt ans son ainé, parlait un Français impeccable. Avec une pointe accent du Sud. C’était mignon. Elle me traduisait l’essentiel. Comme ce jour. Le troisième. Où elle commentait les photos. Des photos d’avant. De mon père. Son enfance. Des photos de la guerre. De mon grand père. Soldat. Tout ce que j’avais toujours voulu savoir était là devant moi. L’uniforme. Les jeunesses Hitlériennes. Pour moi, ce fut le choc. J’ai regardé ma tante. Espérant qu’elle allait m’expliquer. Me dire que je me trompais. Que c’était un malentendu. Une mascarade.

« Ils étaient obligés… ».

C’est tout ce qu’elle a trouvé à me dire. Sans même chercher à me mentir. Comme si c’était normal. Tout ça. Puis elle a refermé l’album. Et n’a plus prononcer aucun mot. Ni en Français. Ni en Allemand.

Nous sommes repartis le soir même.

Je n’ai jamais revu les parents de mon père. Je ne suis jamais retournée en Allemagne. Depuis.

Oui, j’ai toujours su que c’était mal d’être Allemande. Depuis mon plus jeune âge. Mais j’ai compris très vite qu’être Français, c’était pas mal non plus. Dans le genre. Que y’a pleins de mes cons-citoyens, ils se feraient pas prier pour poser sur la photo, plus tard : la photo de l’identité nationale. Vue par Nicolas Sarkozy. Et moi, j’ai l’impression que c’est à cause de lui que j’ai de moins en moins envie de me sentir Française. Encore moins fière de l’être. Depuis lui que la France me fait peur. Et même si je l’ai pas attendu pour savoir qu’en réalité, elle n’avait jamais été le pays des droits de l’homme, je me dis qu’avant Sarko, ça pouvait au moins faire illusion. Vivement 2012. Ou que tout saute…

Je trouve que Omar et Fred ils l’ont bien cerné “le Français”.. Le prototype… Le gaulois dans toute sa splendeur !… François le Français !… Il a souvent des airs à Super Connard, non ?

ééééêçç

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LES COMMENTAIRES (1)

Par WandSoul
posté le 04 novembre à 05:48
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Une histoire très forte! Et un texte très agréable, qui mélange expressions jeunes et mots plus complexes. Je souhaitais dire qu' en tant qu' enfant à origines multiples également, j' ai été très touché par ce point de vue aussi peu entendu qu' intéressant. Je pense qu' effectivement à chaque époque il y a des origines qui en prennent plein la tronche pour des raisons très souvent mauvaises; d' ailleurs le Racisme en France n' a pas attendu le deuxième tour de Le Pen pour exister, à l' image de cette enseignante qui évacue sa haine devant des enfants et se permet de juger le grand-père de la narratrice, répugnant. Je ne sais pas si le "Français" est aussi critique envers les autres, car ne sachant que trop ce qu' est le vide de cette nationalité. Personnellement je ne me suis jamais vraiment senti Français mais pour parler de notre cher président, remercions le au moins d' être une des raisons de ce très beau témoignage!

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