Magazine Journal intime

Avec Lenteur

Publié le 04 novembre 2009 par Lephauste

A proprement parlé, je ne me promène pas. Le pas du promeneur m'est étranger autant que cette forme de mélancholie qui observée de l'extérieur semble être comme la dilution, la flaque dans laquelle l'être n'est plus que le peu de boue qui nous fait l'éviter, avec un peu de dégoût. Mais je marche, grands Dieux, je marche durant des heures, des rues de toutes natures que je traverse, que je longe, à la nuit tombée, quand les moteurs peu à peu se reposent dans la promiscuité des chambres à coucher. Quand il n'y a plus rien à écouter, comme par exemple cette nuit, que les hurlements rauques de cet homme que je n'ai pas vu.

J'allais au long du stade, perdu dans ce que la marche offre aux solitaires, le soliloque nécessaire à la construction d'une mécanique confuse, la pensée à voix haute. Je parlais seul, de plus en plus seul. M'accompagnant, ma voix me prenait ferme par le bras : Viens, allons par là ! La Pesanteur d'un hurlement s'éleva comme la masse d'un orage intime. Rien qui soit une voix, rien qui puisse faire croire que des mots étaient encore là pour faire sortir l'homme, c'en était un, des taillis secs de sa raison incendiée. Il hurla, à plusieurs reprises, il hurlait pour moi, du fin fond de son enfer en forme de sauvagerie, il hurlait la peur que la nuit engendre. Cette vieille nuit qui veille en plein midi et contre qui les cités laissent brûler l'éclairage domestique de la lumière artificielle. Depuis que l'homme a domestiqué l'incandescence, l'ange de lumière se nomme néon, réverbère, quinquet, Led, dichroïde, DCA, et de tous ces noms qui font qu'on est plus jamais seul dans l'ombre, qu'on est plus jamais seul au fond de soi, seul avec les étoiles, par exemple.

Je m'arrêtais à l'angle de la rue Remonteru, là où les terrains sont encore des friches, des cabanes de jardins où vivent les naufragés de l'ère asphyxiée d'ondes cellulaires, des haies que personne ne taille, d'où émergent des tas de gravats, des troncs tordus par le poids de l'absence de fruits. Je stoppais ma marche, ma voix se fit humble et douce, elle qui d'ordinaire use de l'imprécation pour me sortir des tranchées. Je lui parlais avec lenteur comme à un enfant qui ne veut plus croire que son cauchemar n'est pas la réalité puisque la réalité dépasse le pire de ses cauchemars. Ce que je lui disais ? Cela ne regarde que lui, et puisque sans doute il ne m'a pas entendu, puisqu'il n'a pas sentie la main que ma voix, en lâchant mon bras posait pour un instant sur sa joue invisiblement palpable, je repris ma marche et me tus. La lune reflétais les silhouettes des absents, des étoiles luttaient pour survivre dans la mémoire des vivants. Quelqu'un était mort et qui hurlait encore, après que je fus rentré.

Je marche avec Lenteur, Tendresse et Compassion. Je ne me promène pas pourtant, ma compagnie n'est pas dans la rêverie. J'attends qu'elle rentre d'un ensevelissement. Mon cri est encore rauque, mais je le polis.

(A Emma et Pascale)


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