Consécration

Publié le 05 novembre 2009 par Dandy @dandy___candy

La fin n’était pas écrite. J’avais décidé de la reconquérir. Je ne pouvais pas vivre en acceptant que mon sors soit scellé par cette rupture inutile. Dans une rupture il faut un ingrédient de choix : un mobile. Je n’avais pas compris et je ne pouvais pas accepter. Sans raison, sans coup de canif dans le contrat, pourquoi s’en remettre à une décision peut être pas si définitive que cela.

Je n’avais aucune expérience de la sorte et aucun plan qui tienne la route. Ni mon passé, ni mon intelligence n’allait m’être utile. La tentation est forte de rester présent, de jouer la relance, de faire ressurgir des moments clés qui pourraient faire basculer une indécision. Mais j’ai jugé qu’avec elle ce ne serait pas une bonne méthode. Bien trop intelligente pour se laisser glisser dans une quelconque manœuvre manigancée. C’est une néo-princesse. Une de ces filles qu’on croise en baissant les yeux, en se disant que l’affronter serait une épreuve, un échec de plus. Et pour une raison que j’ignore, une bonté divine incongrue, elle était tombée amoureuse de moi. Cette fille qui aurait pu avoir le tout Paris à sa botte, s’était amourachée de moi, qui n’avais jamais eu d’autre ambition que de sortir avec celles qui le voulaient bien.

J’ai pris mon mal en patience. Sachant que tôt ou tard, il nous faudrait nous revoir, et qu’il serait temps de partir à la reconquête. J’ai ravalé mes envies de l’appeler, résisté à la tentation de lui laisser des messages ; et puis ma patience a payé. Elle m’a proposé au détour d’un mail à la va-vite de nous revoir pour échanger nos affaires. Il n’était pas question qu’elle évoque le fait qu’on ait envie d’échanger des nouvelles, qu’on se manque. Juste, échanger nos affaires. Et le moment venu, la revoir était devenu une épreuve.

J’avais préféré son quartier plutôt qu’un bar anonyme. Je n’avais pas peur de mes souvenirs, rangés cet été dans une belle boite sur laquelle j’avais collé une étiquette : à n’ouvrir qu’en cas de guérison. J’étais cependant fébrile depuis le matin du jour J. Ce serait ce soir là l’échange de nos affaires oubliées, l’échange de bises, l’échange de bons sentiments. Je ne redoutais rien, mais savais parfaitement le ton que prendrait le bref échange.

Le fait que ce puisse être la dernière fois que je la verrais, ajouté au fait qu’il allait falloir faire bon effet, me perturbait. J’imaginais un café stupide, un échange de sacs rapide, et puis plus rien. Balayée l’idée qu’elle puisse avoir été la plus superlative de mes rencontres. C’était sans compter que briser un artiste engendre plus de perles que de gravats.

Je l’ai attendue dans ce petit café au coin de sa rue, sur l’une des trois tables coincées entre le bar et les piétons pressés. J’ai commandé une pression pour ne pas avoir l’air d’attendre trop. Et quand elle est arrivée, j’étais au téléphone. J’ai profité de cette contenance inespérée, mais rapidement expédié mon frère qui allait justement me demander si je l’avais revue. « Je te rappelle, je t’embrasse, salut ! ».

Je lui ai tendu ma joue de circonstance en lui effleurant l’avant-bras. Elle a mimé mon geste en signe d’acquiescement. Et puis toutes les banalités que nous avions elle et moi répétées pendant la journée se sont échangées à vive allure. Il n’était pas question de laisser des blancs, ni de perdre la face. Ce moment devait être le plus enjoué possible. Quitte à sur-jouer nos rôles.

Et ce fut, comme imaginé par l’un et l’autre, banalement agréable. Conquis à nouveau par sa présence, je fus surpris qu’elle accepte le restaurant, étonné que la conversation soit aussi animée, et interloqué qu’elle parle de nous revoir.

Qu’elle le veuille m’arrangeait sans aucun doute, mais perturbait quelque peu mes plans. Avait-elle décidé de son coté que cette rupture était imparfaite ? Ou bien était-elle simplement de ces femmes qui s’entourent de personnes brillantes et asexuées pour rompre la solitude des hivers rigoureux ?

Bien sûr, j’ai accepté cette relation sans fond, où nous racontions nos vies en prenant soin de ne pas parler de nous, du temps passé ensemble. Mais je supportais de moins en moins de voir ses yeux me parler d’histoires où je n’étais pas. Et ma passion ne cédait pas. La reconquête était en marche. J’étais prêt à prendre des risques démesurés pour à nouveau être en elle, pour compter plus que cet ami inconsistant qu’elle avait fait de moi.

Nous avions l’habitude de sortir au cinéma, ou de partager un restaurant, une fois par semaine. Parfois moins fréquemment, car nos emploi du temps ne permettaient rien de plus. J’ai pris l’initiative de proposer un concert pour changer. Pas n’importe quel concert : une représentation des petits chanteurs à la croix de bois. Ça l’avait beaucoup amusée lors de notre première rencontre, d’apprendre que j’en avais fait partie. Et je lui avais promis un jour de l’emmener écouter les voix mélodieuses de ces enfants qui parcourent la planète. Pour lui faire comprendre cette sensibilité musicale et ce talent que j’avais au fond de moi. Et dont je ne faisais plus grand chose à présent.

Elle est arrivée en trottinant et a bafouillé quelques excuses de boulot pour ne pas me laisser le temps de lui reprocher d’avoir attendu. Une fois assis, j’ai ressenti ce calme solennel qui m’avait tant manqué. Les applaudissements réservés ont fait place à un silence d’ange. Le public semblait presque absent quand la première note est sortie de ces jeunes cordes vocales puissantes.

Pendant que mille souvenirs me revenaient en tête, je me suis demandé ce qu’elle pensait en les entendant chanter. Elle était silencieuse, attentive. J’ignorais si elle était, autant que moi, transportée par ces accords classiques.

Au dernier morceau, le maître de chœur a introduit un chant sur la Bretagne. La seule passion que je lui connaissais, la Bretagne, SA Bretagne. Elle m’a lancé un sourire complice, de ceux dont je ne pourrais plus me passer. Ce morceaux était magnifique : une exquise mélodie où s’entrechoquaient les voix douces des soprani et les répliques sévères des alti. Je crois que ma voisine était conquise par cette musique qui envahissait l’espace avec une ampleur sans mesure. Lorsque la dernière note s’est estompée, le public s’est soulevé d’un seul homme. Un triomphe, et pour moi, une consécration.

Le calme revenu, le maître de chœur a demandé à l’assistance d’applaudir le compositeur de ce dernier morceau. J’ai jeté un regard fier à ma voisine, et je me suis levé pour rejoindre les artistes sur scène. J’ai salué comme il se doit et embrassé le chef d’orchestre. Impressionné par les projecteurs aveuglants et la foule amassée dans l’ombre, je me suis souvenu de ce trac inévitable en pareille circonstance. Et, aspirant une grande bouffée d’air, j’ai tenté de balbutier quelques phrases que j’avais préparées de longue date : « Je vous remercie, c’est un grand honneur pour moi. Je voudrais dédier ce morceau à ma petite amoureuse bretonne qui est ici, tapie quelque part dans l’ombre, lui dire que je l’aime. Et… lui demander si elle veut m’épouser ».

Silence. Applaudissements et cris d’encouragements. Cette dernière phrase n’était pas prévue, je ne sais toujours pas pourquoi je l’ai dite. J’avais envie de me frapper, mais je souriais en pensant qu’au point où j’en étais, je n’étais plus à ça près. Je suis descendu de scène, alors que les applaudissements ne tarissaient plus. Doucement, je me suis enfoncé dans l’ombre, alors que derrière moi, les enfants regagnaient les coulisses.

La serrer dans mes bras, l’embrasser et ne plus la lâcher, voila tout ce qu’il me restait à faire pour achever mon plan. Allait-elle sourire ? Allait-elle pleurer ? Je me suis demandé pendant des semaines comment elle réagirait à ce geste, à cette attention. Cette déclaration. Et cette phrase de trop, sortie impunément, qui tournait dans ma tête.

J’ai regagné lentement ma place sous les regards insistants de quelques spectateurs surpris ou émus, saluant ça et là d’un discret hochement de tête. Je savourais cet instant qui, je le savais, serait gravé dans ma mémoire toute ma vie. Quand enfin j’ai retrouvé ma place, je l’ai cherchée des yeux. Pas très longtemps, en réalité. Le temps de réaliser combien c’est aveuglant d’être un homme amoureux. Je me suis précipité vers la sortie. Elle était montée dans un taxi qui filait déjà.

J’ai senti un torrent de larmes envahir mes joues, et le froid me piquer la peau avec une douleur atroce. Je me suis assis à même le bitume quand mes jambes m’ont abandonnées. Une passante s’est arrêtée.

« Vous allez bien Monsieur ? Vous avez besoin d’aide ?». J’ai péniblement levé la tête, retirant mes mains de mon visage, essayant de prendre du recul sur cette situation qui me dépassait totalement.

« Tout va bien madame, merci. Il n’y a plus rien qu’on puisse faire pour moi. »