Mon meilleur ennemi

Ces deux types assis devant leurs bières n’avaient pas grand-chose à se dire. Le bar était quasiment désert, et la fille qui les accompagnait était partie se rafraîchir aux toilettes. Ils avaient l’air de se défier du regard ou de scruter leurs visages pour essayer d’en détailler tous les traits. Ils semblaient se demander tous les deux ce qu’elle pouvait trouver à l’autre. Mais ce qu’aucun des mecs ne soupçonnait, c’est qu’ils n’étaient guère différents l’un de l’autre, finalement. Il y avait même une certaine ressemblance physique à bien y regarder. Mais ces deux là ne se voyaient pas grand-chose en commun. Ils se demandaient précisément ce qu’ils foutaient là, et quel pouvait bien être l’intérêt de ce triangle autour d’un verre.

Voila. On aurait pu décrire la scène comme ça, vue de l’extérieur. Sauf qu’un des deux mecs, c’était moi. Et ce à quoi je pensais en l’observant, c’était que ce con allait passer du temps avec mes filles, puisque leur mère avait décidé qu’il était le suivant. Je rigolais intérieurement en essayant d’imaginer sa tête quand mon frère l’avait laissé sur le pallier le jour où il s’était pointé avec elle.

« J’imagine que je ne suis pas le bienvenu
_ Non, qu’est-ce que tu fous là ? »

Je lui ai trouvé le charisme d’une huitre avariée et la conversation d’un adolescent boutonneux, mais à sa décharge, il a essayé de me faire parler. Tentatives rapidement avortées lorsqu’il a voulu parler photographie ou aéronautique. Questions fermées : réponses fermées, Silence. Quand elle est revenue, elle a tenté de détendre l’atmosphère, et je ne répondais qu’à elle, feignant d’ignorer celui qui était assis à sa gauche.

Finalement, il a glissé :

« Tu as quelqu’un en ce moment ? (qu’est-ce que ça peut te foutre ?)
_ Non, quelques plans cul mais ça me fatigue.
_ Ah bon ? Comment on fait pour avoir des plans culs, ça m’intéresse ! »

Là, il se foutait sérieusement de ma gueule. Et s’il ne faisait qu’exprimer son embarras, ses questions commençaient à me faire monter en pression. Je me suis simplement barré, je lui aurais bien jeté mon verre à la gueule mais ça aurait été lui montrer trop d’importance.

C’est vrai qu’on n’était pas parti pour devenir les meilleurs potes du monde ce jour là.