Un jour, j’en ai eu assez de la stupide faconde d’un prétentieux de ma connaissance. Pour me défouler (et dans le but avoué de lui river son clou d’une certaine manière), j’ai écrit ce petit texte que je croyais disparu dans mon vieil ordinateur. Pas du tout, le voici…
Le pauvre souffre toujours de l’insolence du riche.
Bien que le pauvre ait conscience de sa condition, il est toujours blessé de s’entendre dire en public qu’il n’a pas été à l’école. Il le regrette, d’ailleurs. Il regrette de n’avoir pas fait d’études, de n’avoir pas été agrégé de lettres en sortant de khâgne mais d’avoir eu ses rentrées universitaires le 15 octobre, bien après la date décente. Il aurait aimé faire sciences po et obtenir un doctorat d’État. C’est pourquoi le pauvre dit des phrases creuses, tandis que le riche, lui, dit au pauvre des choses utiles à son édification.
Le pauvre ne comprend pas, lorsqu’on lui viole ses enfants, que le riche lui refuse le soutien d’une parole d’encouragement. Alors le riche est obligé de lui expliquer qu’il a besoin de tout son courage pour lui-même. Le pauvre comprend : si le riche donne une part de sa richesse, il va devenir pauvre et ce sera le bordel, on ne saura plus où on en est.
Au lieu d’aller travailler dans le prisunic devant lequel passe le riche quand il va faire ses courses, le pauvre a décroché un boulot d’esclave dans la même boîte que le riche. Le riche est scandalisé que les pauvres viennent piquer le boulot des riches alors qu’ils n’y connaissent rien.
Le pauvre est nul : non seulement il ne râle pas quand son salaire est payé en retard, mais estime essentiel de le recevoir. Comment faire confiance à une engeance qui se compromet à ce point ? Le riche est dégoûté.
Le pauvre est dépensier, c’est pour ça qu’il est pauvre. Il vit au-dessus de ses moyens, brûle la chandelle par les deux bouts, fait des cadeaux dictés par son cœur et non par sa raison, bref, il énerve le riche. Le riche ne comprend pas qu’on puisse aimer vivre d’eau fraîche et d’amour. Le riche ne supporte pas la fantaisie du pauvre.
Le pauvre bassine le riche avec sa vie de pauvre. Le riche se fout comme de l’an quarante du passé du pauvre. Le pauvre n’avait qu’à naître riche, et comme ça on serait bien tranquilles, là, entre nous. On pourrait parler philosophie, entre gens intelligents et cultivés. On vivrait tranquilles dans nos vastes maisons. On pourrait mépriser tous ces crétins, ces rêveurs qui croient à la bonté, ces abrutis qui imaginent que la compassion est une qualité, ces idiots qui disent générosité alors que c’est corruption, ces imbéciles de pauvres, si stupidement tendres que nous finirons bien par les écraser.