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Ploucville (épisode 3)

Publié le 07 novembre 2009 par Cochondingue
Pour une fois, il fait beau. Dans mon dos, je sens le souffle court et rauque de Jeremy. Il est temps d’arrêter avant qu’il ne crève sur place. J’espère que la leçon aura porté ses fruits et qu’il ne voudra plus me suivre partout.

- Tu veux qu’on fasse une pause ?

Il a acquiescé d’un signe de tête et on a laissé tomber lourdement nos vélos sur l’herbe.

- Viens, on va s’asseoir dans le pré et regarder les vaches.

Jeremy s’est allongé sur le dos, écrasant de son corps mastodontesque des millions d’insectes innocents qui n’avaient rien demandé à personne. Le visage cramoisi il haletait bruyamment, comme au bord de l’asphyxie.

- Tu te sens mal ? Respire calmement, ce n’est ni l’endroit ni le moment de tomber dans les vapes.
- C’est bien la première fois que tu te soucies de moi…
- En fait je m’inquiète surtout pour moi. En cas de malaise je serais obligée de te réanimer par un bouche-à-bouche et cet acte répugnant me pourrirait définitivement la journée.
 
Jeremy a levé les yeux au ciel.

L’année dernière à la même époque, il m’avait écrit une déclaration d’amour qu’il m’avait tendue d’une main tremblante. Je l’avais lue en diagonale, en poussant un soupir affligé à chaque fin de phrase. Jeremy ne m’avait plus adressé la parole du séjour.
Puis avait suivi le cortège de reproches parentaux sur mon attitude de progéniture sans cœur, les pressions diverses pour que je m’excuse, les regards noirs, l’incompréhension, voire même la peur d’avoir engendré un monstre.

Dans le pré les vaches ruminaient, et Jeremy aussi, de sombres pensées d’assassinat sans doute.
Je ne sais pas pourquoi je continuais sur ma lancée de créature ignoble, indigne d’exister.

- Je parie que tu n’as jamais embrassé de fille !
- Si.
- Vraiment ? Alors dans quel sens il faut tourner la langue ?
- Euh… Vers la droite ?
- Tu hésites on dirait. Et combien de fois tu peux tourner ta grosse langue de baleine dans la bouche d’une fille avant qu’elle ne s’étouffe ?
- Laisse-moi tranquille, Lucie. 
- Ou sinon quoi ? Tu vas encore te plaindre aux parents que je te fais des misères ?  

Jeremy s’est frotté la figure de sa main rose et grasse. Il tremblait. Il a épongé son front humide et a lissé ses grandes boucles blondes trempées de sueur. Son torse se soulevait sporadiquement au rythme de sa respiration saccadée.
Le pré s’était transformé en cimetière des éléphants, où la grosse masse informe et molle agonisait au soleil.

Il était si laid, il était si beau, j’avais envie de m’enfoncer dans son ventre, dans le gras du bide qui paraissait si tendre. M’enfoncer dedans et ne plus jamais en sortir.



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