Après avoir revu le film, je relis le roman… Ici, le film – même si c’est du bon cinéma – n’a pas le souffle religieux du livre… Bernanos, opère une véritable
descente aux enfers de l’âme… d’un saint !
Lutte avec le Mal sur toute trace de désespoir, d’orgueil… Sans doute, seul l’Amour peut faire face… mais l’abbé Donissan, comme beaucoup ( non .. ?) souffrent de ne pas en être …trop doté…
Paradoxe, pour un saint ; mais pas pour chacun de nous …
« Sa haine ( celle de Satan) s'est réservé les saints. l'homme qui défend sa vie dans un combat désespéré
tient le regard ferme devant lui, et ne scrute pas le ciel d'où tombe la lumière inaltérable sur le bon et sur le méchant.
Notre pauvre chair consomme la souffrance, comme le plaisir, avec une même avidité sans mesure.
Souvenons-nous que Satan sait tirer parti d'une oraison trop longue, ou d'une mortification trop dure.
O fous que nous sommes de ne voir dans notre propre pensée, que la parole incorpore pourtant sans cesse à l'univers sensible, qu'un être abstrait dont nous n'avons à craindre aucun péril proche
et certain !
Mais celui-ci - pauvre prêtre ! - s'il doute, ne doute pas seulement de lui mais de son unique espérance. » extrait de Sous le Soleil de Satan
Je rappelle ci-dessous le plan du film
Maurice Pialat reprend fidèlement le climat de l'époque (costumes, lampe à pétrole et bougie du presbytère, voiture à cheval), les constantes du paysage - la campagne de l'Artois et du Pas-de-Calais - les trois principaux personnages : Donissan (Gérard Depardieu), Mouchette (Sandrine Bonnaire), Menou-Segrais (Maurice Pialat lui-même), enfin les épisodes essentiels d'une fiction centrée sur une problématique de Satan…
Le film lisse les trois partie du roman, qui –pourtant- suivent le sacerdoce de Donissan qui s'exerce pendant environ quarante ans…
1) "Histoire de Mouchette" ou le désespoir du pêcheur (de l'humanité souffrante) ;
2) "La tentation du désespoir" ou les souffrances du "saint" dont la portée s'affirme rédemptrice, à la façon de la mort du Christ, puisqu'en définitive le suicide de Mouchette s'ouvre sur la révélation de Dieu et le désir d'expirer à l'église ;
3) "Le saint de Lumbres" ou la vocation du "saint". Par rapport à l'ensemble du roman, cette deuxième partie joue, en quelque sorte, le rôle d'un microcosme et donne au lecteur l'intuition de ce que furent les épreuves, les combats et les tentations d'une vie sacerdotale vouée à la lutte contre le Mal par amour du Christ.
Dans le roman de Bernanos, il y avait, en réalité, deux Satan. Incarné dans le maquignon, le premier revêtait l'apparence d'un "jovial garçon", très charnel, à la fois compagnon de route et bourreau de Donissan dans la nuit. Ses bonds, son rire, sa parodie de la Cène, ses spasmes éprouvés dans la boue en faisaient l'héritier du romantisme, ange déchu, être "magnifique et vil", "étoile reniée du matin"10, vaincu par l'esprit de prière du prêtre. Ce personnage de fiction relève du fantastique romanesque et du mythe. C'est lui que l'on rencontre, transposé, dans le film de Maurice Pialat. Mais le "saint de Lumbres", en particulier à propos de la mort du petit enfant, affronte au cours du récit du roman un second Satan qui n'apparaît jamais dans le film. Personnage invisible mais réel, évoqué dans la tradition des Pères de l'église, beaucoup plus redoutable que le premier, "ingénieux ennemi" qui pèse de toutes ses forces sur le prêtre, à la fois "voix" tentatrice du mensonge, "maître de la mort", "voleur d'hommes", menteur par excellence, faussaire qui égare les sens et le jugement, mêle "le vrai au faux" - en un mot le "Prince de ce monde" toujours avide d'attaquer Dieu dans le coeur de l'homme11. Ce Satan s'insère dans une perspective théologique méconnue par le cinéaste.
Agnostique - comme Alain Cavalier, dont on n'a pas oublié Thérèse -, Maurice Pialat ne croit pas en effet à ce second Satan
« On n’oubliera pas de sitôt le corps ambulant et bancal de Gérard Depardieu qui traverse les campagnes, franchit les obstacles, mais toujours essoufflé ou au bord de l’évanouissement. Donissan, c’est le prêtre qui non content de porter sa croix est appelé à porter celle des autres et pour ce faire en viendra à vouloir se damner pour sauver autrui. Mais le sacrifice est plus orgueilleux qu’amoureux « et Dieu ne se donne qu’à l’amour ». D’où l’incertitude toute bernanosienne d’ailleurs qui se dégage du film. Chez Pialat comme chez Bernanos, Dieu brille par son absence et l’on n’est jamais sûr de rien – si le maquignon était le diable ou si l’enfant est vraiment ressuscité (il ouvre les yeux certes mais retombe inerte). « Dans ce film, Dieu ne se révèle qu’en négatif du mal, mais non en tant qu’affirmatif du bien. On ne le voit qu’à contre-jour ou qu’à contre-temps » dit encore André Frossard dans un des autres bonus. »