Magazine Humeur

Pour un colloque sur l’enseignement de l’histoire en Haïti

Publié le 11 novembre 2009 par 509
Pour un colloque sur l’enseignement de l’histoire en Haïti
Par Michel Hector, Historien et professeur
(suite de l’édition du 16 au 18 octobre 2009)
Dans la république de l’Ouest et du Sud, de 1806 à 1820, puis dans tout le pays, de cette dernière date jusqu’en 1843, l’évocation de la mémoire de la victime du Pont Rouge est prohibée et totalement bannie dans les milieux officiels. Durant tout ce laps de temps il est donc interdit de faire allusion publiquement à l’action du principal des Pères fondateurs du nouvel État. Le premier janvier 1844, le président Rivière Hérard rompt le tabou et reconnait le rôle glorieux de Jean Jacques Dessalines dans l’issue prodigieuse des guerres de l’Indépendance (Madiou. Tome VIII, p. 77). L’année suivante, un autre président, Louis Pierrot, ordonne par décret l’organisation le 17 octobre de cérémonies funèbres dans tout le pays en hommage à l’Empereur. (Madiou, id., p. 320). Un premier geste significatif est ainsi posé au niveau symbolique. Ce n’est donc pas un jour de fête, mais plutôt un jour dédié au souvenir d’un triste événement qui en tant que tel appartient aussi à notre histoire patrimoniale. C’est la première tentative d’institutionnalisation de cette page de notre passé dans la mémoire patriotique de la collectivité.
Avec la mobilisation de 1843-1848 contre le système en place dans toute l’île au cours de la longue présidence de Boyer s’ouvre également une période au cours de laquelle la production historique va véritablement connaître son premier essor. Les trois tomes de l’Histoire d’Haïti, publiés par Thomas Madiou de son vivant, paraissent en 1847 et 1848 pour combler une criante lacune. Dans la foulée, Saint-Rémy des Cayes écrit en 1850 la Vie de Toussaint Louverture, réédite l’année suivante les Mémoires de Boisrond Tonnerre et livre au public entre 1853 et 1858 les cinq volumes de Pétion et Haïti. De son côté, Emile Nau nous offre en 1854 son Histoire des Caciques d’Haïti et Beaubrun Ardouin termine de 1853 à 1860 le travail monumental que représentent les onze volumes des Études sur l’Histoire d’Haïti. Il faut enfin signaler la parution en 1851, sous la plume de Linstant de Pradines, du Recueil général des lois et actes du gouvernement d’Haïti depuis la proclamation de son indépendance à nos jours. De même la fondation des Archives Nationales au cours de l’année 1860 mérite d’être notée dans le cadre de ces efforts en vue de développer l’histoire, principal «vecteur de la mémoire nationale ».
Ces différentes publications et initiatives témoignent évidemment du souci de diffuser la connaissance et favoriser la production historique. Toutefois, les œuvres parues comportent de graves limites en ce qui concerne leur utilisation dans l’enseignement. C’est en considérant cette réalité qu’Elie Dubois affirme en 1860 : « les ouvrages que nous possédons sur l’histoire de notre pays étant trop volumineux, ne peuvent pas être mis dans les mains des élèves» (Brutus, E., 138). Aussi, propose-t-il d’organiser un concours de manuels d’histoire et de géographie. On ne retrouve pas encore les traces du résultat de ce concours. Mais au cours de cette même année, la signature du Concordat avec le Saint-Siège vient considérablement compliquer le problème. En effet, du point de vue de la formation des élites nationales, l’État haïtien, à partir de ce moment là, remet l’essentiel du système éducatif haïtien aux congrégations religieuses venues de l’étranger. Celles-ci, naturellement, avaient leur propre vision de l’histoire en générale et de celle d’Haïti en particulier.
Vers la fin du19e siècle et les débuts du 20e, le pays vit une phase de modernisation (Gaillard, R. ; Turnier, A. ; Péan, M. 1977) avec en même temps d’intenses débats sur les choix à opérer pour l’orientation du futur de la nation. C’est également au cours de cette période que nous retrouvons des textes spécialement destinés aux élèves pour l’enseignement de l’histoire. En 1888 le Frère Gildas Marie publie un Précis de l’histoire d’Haïti, suivi de notions de géographie. La même année Dantès Fortunat fait paraître : Nouvelle géographie de l’île d’Haïti. Ce livre sera bientôt supplanté par un autre devenu un classique, celui d’Henri Chauvet et Robert Gentil intitulé : Grande géographie de l’île d’Haïti. Mais l’influence des travaux de Jean Baptiste Dorsainvil dans l’enseignement de l’Histoire domine toute cette époque. Les arrêtés ministériels des 24 octobre 1898 et 4 août 1903 adoptent les Cours d’histoire d’Haïti qu’il a rédigés pour les différents niveaux de l’enseignement secondaire couvrant toute l’évolution historique du pays de 1492 à 1889 selon le programme officiel de 1893. En outre, il produit aussi du matériel d’histoire nationale pouvant être utilisé dans l’enseignement primaire. Le père Adolphe Cabon, durant son séjour au pays de 1895 à 1919, enseigne l’histoire d’Haïti au Petit séminaire Collège Saint-Martial. Ce sera la base des 4 volumes de son Histoire d’Haïti publiés entre 1930 et 1938.
L’occupation nord-américaine de 1915-1934 ouvre une nouvelle phase du combat pour la défense et reconquête de la souveraineté nationale ainsi que pour l’affirmation et l’enrichissement de l’identité culturelle de la communauté. De nouveaux courants de pensée s’affirment dans les divers champs de la connaissance ainsi que de la création littéraire et artistique. Toute la suite du XXe siècle sera en grande partie marquée par cette nouvelle réalité. Dans ce contexte de lutte la recherche historique et l’enseignement de l’histoire occupent une place de choix. Le 8 décembre 1923 est créée la Société Haïtienne d’Histoire et de Géographie qui organise sa séance inaugurale trois mois plus tard le 29 mars1924. En cette occasion, l’historien de renom Pauléus Sanon, auteur depuis environ un lustre déjà de la volumineuse Histoire de Toussaint Louverture et président de ladite Société, déclarait: « Notre association se propose d’encourager l’étude et l’enseignement de l’histoire nationale. Nous voulons voir se former une école historique qui, en reconstituant le passé, arrive à dégager mieux que cela n’a été fait jusqu’ici la portée et la signification philosophiques des événements ».
Dans cette mouvance apparaissaient des écrits qui vont profondément influencer l’enseignement de l’histoire. Déjà en 1922, Justin Chrysostome Dorsainvil, fils de J.B. Dorsainvil, fait connaître son ouvrage Lectures historiques. Trois ans plus tard, il figure avec Catts Pressoir comme Secrétaire de la toute récente Société Haïtienne d’Histoire et publie en collaboration avec les Frères de l’Instruction Chrétienne un Manuel d’Histoire d’Haïti qui s’inspire beaucoup de son travail antérieurement divulgué. Ce nouveau texte reçoit rapidement l’approbation du conseil de l’Instruction publique et est utilisé jusqu’à nos jours, à travers certaines modifications, pour la formation de nombreuses générations de femmes et d’hommes du pays. L’œuvre des Dorsainvil, père et fils, représente un chapitre important dans l’histoire culturelle nationale par son rôle éminent dans la constitution de la mémoire historique d’une bonne partie des élites intellectuelles haïtiennes. Elle mérite bien à ce titre d’être en elle-même considérée comme un de nos « lieux de mémoire ».
Dans le sillage des batailles d’idées menées au cours des années 1930 contre l’Occupation nord-américaine, l’indigénisme et le marxisme ont exercé leur influence sur la pratique historique en Haïti tant dans le champ de la recherche que dans celui de l’enseignement. Du point de vue du développement de ce dernier domaine, un tournant capital s’opère durant toute la décennie qui suit le mouvement social de 1946 jusqu’à la fin du premier lustre des années 1960. Ce n’est pas un hasard. En fait au cours de ces vingt ans, il s’agit de répondre à de nouvelles exigences identitaires.
(à suivre)
Par Michel Hector
mardi 20 octobre 2009
Yon gwo AYIBOBO pou ou men m zanmi m ki vizite lakou sa pou pwan nouvèl zanmi lakay ak lòt bò dlo.

Retour à La Une de Logo Paperblog