Magazine Humeur

La débâche liturgique et ses accessoires (4)

Publié le 12 novembre 2009 par Hermas

MON EXPERIENCE PERSONNELLE

J’ai pris la soutane, comme on disait à l’époque, le Dimanche des Rameaux, 14 avril 1957, au cours des Vêpres solennelles au grand séminaire de l’Asnée de Nancy. La veille, nous avions eu une journée de retraite prêchée par le Père Brunet, professeur de philosophie au grand séminaire, et il était mon directeur de conscience.

«La soutane, c’est comme drapeau, on l’aime et on y est fidèle!»: c’est par ces paroles qu’il commença notre premier entretien spirituel. Elles sont restées gravées dans ma pensée et dans mon cœur, et je l’entends, aujourd’hui encore, nous le dire avec une grande conviction, même si, en 1963, il ne fut pas un des derniers à «jeter la soutane aux orties» et à adopter un «habit plus commode», plus «adapté aux temps nouveaux». Agé, il voulait être «moderne», «faire jeune», et surtout ne pas entendre les railleries de ses confrères

Séminariste, j’ai fréquenté pendant trois ans l’Université de Lettres de Nancy, sans aucun problème, utilisant la bicyclette, le vélomoteur, par tous les temps, comme le faisaient alors les autres séminaristes, chaque jeudi après-midi, jour de sortie.

Puis le temps est venu de partir pour le service militaire, au début du mois de novembre 1961: j’étais convoqué à la Caserne à Metz, pour partir directement en Algérie. J’y suis allé en soutane, évidemment avec une valise en aluminium, robuste, pour pouvoir s’asseoir dessus en cas de longue attente. Nous avons été pris immédiatement en charge, pour revêtir l’habit militaire. Deux par deux: j’étais avec un étudiant, de religion juive, il s’appelait Katz. Les militaires chargés de donner les vêtements provisoires se préoccupaient peu de la pointure des «rangers», de la taille du pantalon, du blouson, ou du col de chemise, ainsi que de la «capote militaire». En les voyant sortir «magasin»,  ainsi vêtus, on pensait plutôt à l’armée de Napoléon lors de la retraite de la Bérésina.

Mais, voyant quelqu’un en soutane, tout changea: «Prenez votre temps Monsieur l’Abbé, pour enlever votre soutane, pour la plier, nous ferons nous-mêmes le colis pour l’envoyer chez vous. On va vous trouver quelque chose de bien!». Le «voussoiement»! Et, de fait, je fus pourvu, ainsi que mon compagnon juif, de chaussures normales, d’habits à ma taille et décents, à la grande surprise de ceux que je rejoignais dans les rangs. Pour tous, qui m’avaient vu en soutane, j’étais désormais «LE PRETRE».

Durant la nuit, nous dormions dans une immense chambrée qui regroupait une centaine de personnes sur des lits à deux étages, nous fûmes réveillés en sursaut par des militaires en tenue, avec galons, qui hurlaient: «Toute le monde assis sur son lit sans un mot! Revue de détail» (Ceux qui ont fait leur service militaire savent de quelle «revue de détails» il s’agissait…). Il valait mieux prendre la chose du bon côté. Mais, arrivés à ma hauteur, celui qui portait les galons «d’adjudant», jeune toutefois, déclara: «NON! PAS LUI! NE LE TOUCHEZ PAS, C’EST LE PRETRE».

Et j’ai gardé ce «titre» tout long de mon service militaire, au Camp du Train à Béni-Messous sur les hauteurs d’Alger, au Camp de Sissonne lors de notre rapatriement après l’indépendance de l’Algérie, puis au Commandement du Train à Metz.

Tout au début de 1963, il fut permis aux prêtres et aux séminaristes de se mettre en clergyman noir ou gris foncé. Il y avait avec moi un séminariste de Nancy, libérable quelques jours après cette décision de l’Episcopat français. Ce qui me surprit c’est que, étant à la caserne, il n’eut aucune peine pourtant à faire ses adieux au Commandant, aux officiers, à tous ses collègues, en CLERGYMAN! D’où lui venait ce clergyman flambant neuf? L’affaire du «clergyman» était donc bien préparée… fort attendue… L’heure de la «libération», enfin! L’heure d’enlever ce que certains appelaient avec mépris «le Saint Etui».

Quand vint mon tour de quitter le Commandement du Train, fin avril 1963, je fis le tour des Officiers et des collègues pour les saluer, en soutane bien sûr. Le Commandant me dit: «Masson, n’oubliez pas (il ne m’avait jamais tutoyé!): LA SOUTANE C’EST COMME UN DRAPEAU: RESPECTEZ-LA TOUJOURS ET SOYEZ FIER DE LA PORTER. Ne faites pas comme votre collègue qui l’a déjà abandonnée».

Il me rappelait ainsi, sans le savoir, le Jour de ma Prise de Soutane, et ce que nous avait alors déclaré le Père Brunet!

Mais pourquoi cette haine farouche contre la soutane? A Saint Sulpice, au Petit Séminaire Sainte Marie de Meaux, à la paroisse Saint Jean Baptiste de Nemours, et jusqu’à présent encore?: un chœur unanime de rejets, de condamnations, de mises en quarantaine, de la part des prêtres, des religieux, des religieuses, et même de mon Evêque, Mgr Ménager, Evêque de Meaux, qui avait eu peur que la soutane ne compromît mon ministère (le pauvre!). Etrange: les fidèles avaient des réactions toutes différentes, et manifestaient leur joie de voir «un vrai prêtre»

Cette attitude, je l’ai vérifiée tout au long de ces 43 ans de Sacerdoce. Lors de mes voyages, en train, en avion, dans mes déplacements, durant mes visites dans les sites touristiques de Provence, aux Baux de Provence par exemple; quand j’accompagnais Maman pour faire ses courses à Nancy, et ensuite, avec ma belle-soeur. Et partout où j’allais, et partout où je vais.

Actuellement encore, il en est de même: la soutane attire les gens, les fidèles, les non-pratiquants, les non-chrétiens, jeunes ou moins jeunes; mais beaucoup de jeunes, de plus en plus de jeunes. En voyage, un jour, je m’arrête à un restaurant pour le déjeuner. Un Monsieur, jeune d’apparence, s’approche de moi: «Félicitations pour la soutane! je suis athée! Mais j’apprécie votre courage, car vous n’avez pas honte de montrer que vous êtes prêtre. Je vous invite à partager mon repas».

Je pourrais citer des dizaines et des dizaines d’exemples de ce genre!

A Rome, ou le nombre de prêtres est important, le prêtre en soutane est le plus «sollicité»: les gens lui demandent une bénédiction, une indication, une information, lui expriment leur satisfaction de voir un prêtre qui n’a pas peur de montrer qu’il est prêtre. Combien de personnes n’ai-je pas ainsi rencontrées. Même pour confesser des voyageurs à l’aéroport de Fiumicino: à l’hôpital où je vais régulièrement en traitement, alors que l’on me faisait une perfusion, six infirmières étaient venues ensemble me parler, me demander une bénédiction. Je suis frappé par le nombre de personnes, dont beaucoup de jeunes, que je ne connais pas, et qui me saluent, ce qui donne toujours l’occasion de dire quelques paroles.

Des étrangers, asiatiques souvent qui veulent faire une photo. Chaque fois, je leur demande pourquoi: une famille musulmane du Pakistan m’a répondu un jour «Parce que vous êtes un Homme de Dieu». Comment le savaient-ils, si ce n’est par l’habit que je portais?

Certes, dans les rues, en France surtout, en Belgique, en Suisse, on ne passe pas inaperçu. La curiosité? Que nenni! La surprise, tout d’abord, c’est tellement rare! Et la joie de découvrir enfin un Prêtre… Avec une conversation qui s’ensuit, des problèmes à exposer, la demande d’une bénédiction, d’une prière. Si vous voyiez la joie de ces gens sur le front desquels je trace un Signe de Croix: «In Nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti».

Pour expliquer l’abandon de la soutane, on a recours à tous les expédients: ce n’est pas commode pour voyager, cela coûte cher, cela se salit vite, c’est trop chaud en été…

Tout cela, ce sont des prétextes. Je n’ai jamais été gêné de porter la soutane, ni pour faire de la bicyclette, ni pour prendre l’autobus ou le tramway avec une ou deux valises, ni pour voyager en voiture ou en avion, ni même en bateau!

La soutane est chaude? et le pantalon d’un clergyman ne tient-il pas plus chaud, avec le veston qui l’accompagne? Il est vrai que l’on a simplifié les choses: les chemises à manches courtes, le petit bout de col «la carte de visite», ouvert, les chemises de toutes les couleurs, rarement foncées, car cela attire le chaud. Et les Touaregs dans le désert?

Tout cela, je le répète ce sont des prétextes. La soutane n’apporte aucune gêne, si ce n’est la gêne d’apparaître comme PRETRE, de n’être pas vêtu comme tout le monde, de n’être pas comme tout le monde, de ne pas pouvoir faire comme tout le monde

La soutane est vraiment, pour moi, une prédication silencieuse. Que les prêtres revêtent de nouveau la soutane et qu’ils prient, et ils verront refleurir les vocations chez les jeunes qui veulent voir des témoins, de vrais témoins, par leur habit, par leur vie, et par leur piété, et aussi et surtout par la piété avec laquelle ils célèbrent les Saints Mystères! C’est là-dessus que les fidèles, et les autres personnes, croyantes ou moins croyantes, chrétiens ou non-chrétiens, jugent un prêtre.

Je sais: le proverbe déclare: l’habit ne fait pas le moine. C’est vrai, très vrai. Mais le prêtre qui vous parle peut vous dire en toute certitude: «certes il ne fait pas le moine, mais il y contribue». Comme le drapeau porté en tête d’un Régiment, au moment de la bataille, galvanise les énergies, et en fait des héros! Même si c’est au prix de leur vie! Et le prêtre n’a-t-il pas consacré toute sa vie au Christ, à Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit? Dût-il y laisser son sang!

(à suivre)

Mgr J. Masson


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