Magazine Journal intime

La vie sur la route (version 1.0)

Publié le 12 novembre 2009 par Wilverge

La vie sur la route (version 1.0)

Madurai, Inde.


Voilà quelque temps que je veux écrire cette chronique évolutive pour m'amuser et ne pas oublier. Mais pourquoi aujourd'hui, plutôt qu’hier ou demain ? Tout simplement parce que tout à l'heure, comme plusieurs voyageurs en Inde, j'ai vécu le moment ultime, le point déclencheur, la révélation.
Au quatrième étage d'un édifice décrépi de Madurai*, à gauche au premier corridor, troisième porte à droite, se trouve la chambre 509. Et dans cette pièce, on y trouve un lit humide, un miroir poussiéreux, une Nadège scintillante, un ventilateur bruyant et une salle de bain. Et dans cette dernière, se trouve moi, qui s'est lavé avec de l'eau froide dans une chaudière et puis s'est accroupi sur la toilette turque plusieurs minutes. Et ça ne me dérangeait même pas. J’en ai profité pour réfléchir.
« - Prochaine fois mon Will, tâche dont de faire la crotte avant la douche. Le C avant le D… »
C'est que sur la route, le papier de toilette n'abonde pas toujours et s'absente souvent au mauvais moment. Parfois, une hose est installée au côté du trône et sert de bidet. Pratique, mais vaut mieux tester la puissance du jet avant pour éviter les surprises. D'autres fois, il n'y a rien. À part l'être aimé qui accourt avec les serviettes de restaurants qu'elle emprunte à long terme à la fin des repas. Un moment où même la fibre la plus coriace s'amollirait sous le feu de cet amour.
Et ensuite, il est important de se laver les mains. Mais curieusement, les salles de bain avec lavabo se font de plus en plus rares. Alors, le savonnage et le brossage de dent se font à croupetons au pied du mur où se trouve le robinet qui sert à remplir la chaudière. Tout comme le lavage du linge, dans la même chaudière qui sert à flusher, avec le même savon qui sert à tout le reste.
Cela, c'est dans les chambres que l'on accepte par choix ou faute d'autre option abordable. Agréer à une chambre est un art en soi, comme manger avec sa main droite en Inde. Les critères à considérer sont nombreux et souvent trop subtils à voir d'un premier coup d'œil. Premièrement, on doit regarder le lit. Lorsqu'il y a déjà des insectes en dessous du drap, c'est mauvais signe. Sauf que parfois, c'est seulement après s'être étendu quelques minutes qu'on s'en rend compte en tuant une puce remplie de notre sang. Là, on a le droit d'être remboursé et apporter le cadavre ensanglanté comme preuve accélère normalement les démarches.
Dans la salle de bain, dans quel état est la toilette ? Est-ce que la lunette, s'il y a, est craquée et pincera les fesses ? Est-elle texturée ? Est-ce que l'odeur d'urine est incluse ? Est-elle vide ou vient avec l'étron du dernier locataire, un bouchon de papier ou une coquerelle insubmersible ?
Puis la douche : chaude, froide, ou glaciale ? Est-ce que l'eau fonctionne ? Est-ce qu'on pogne des chocs électriques en touchant la poignée ? Est-ce qu'il y a une poignée ?
« - Monsieur, il n'y a pas de poignée dans la douche, est-ce normal,?
- Oui. Pas de douche dans les chambres, maître. On fournit une chaudière. »
C'est idiot, mais il faut vraiment toujours vérifier s'il y a une poignée. Ou utiliser une pince canif à la place. Mais une douche, au fond, est-ce vraiment nécessaire ? En Amazonie, on s'est lavé pendant six jours avec l'eau du fleuve puisée d'un baril dans la cale du bateau. En Patagonie, c'était un bout de chamois mouillé aux endroits stratégiques avant de dormir habillé comme dans le jour. Dans les bus de nuit, c'est un problème reporté à plus tard…
La vie sur la route nous apprend la tolérance et la cohabitation avec d'autres mœurs, d'autres religions et différents nombres de pattes. Même les chambres les plus propres nous réservent toujours des surprises. Les bibittes sont difficiles à prévoir et un bon « feeling » général de l'établissement est souvent le meilleur indicateur, mais n'est jamais sans faute. Les lézards, on tolère, puisqu'ils mangent les mouches et moustiques et ne sont pas dérangeants. Les araignées, ça va aussi, du moment où leur diamètre, pattes incluses, ne dépasse pas deux centimètres et demi. Au Laos, les quadru-paires ne manquaient pas. Je n'ai pas compté le nombre de ces bêtes que Nad m'a obligé à éliminer, même celle qui sous son abdomen cachait une membrane remplie de bébés qu'elle a relâchés au premier jet d'eau. Heureusement que Nad n'avait pas vu le serpent qui s'était installé sur la tablette dans une bécosse à quelques pas de notre bungalow. Le genre de toilette inaccessible lorsqu'il pleut et où l'on se lave sous l'œil pervers de crapauds boutonneux, de limaces gluantes ou de milles pattes dignes de ce nom. Le genre de toilette qui n'est jamais de style occidental où il faut déféquer techniquement, comme dans les rizières. C'est-à-dire, se soulager en oscillant la main avec une période inverse à l'éjection pour éloigner les moustiques du troisième œil et le tout, sans chier sur ses pantalons.
La vie sur la route, c'est aussi les pannes d'électricité au moment inopportun. C'est le tape gris et les T-raps pour accrocher la moustiquaire au néon. C'est vérifier à quel point la porte se barre, regarder si la lumière fonctionne? Si le fan tourne? C'est attacher son sac au lit. C'est les odeurs de lait de chèvre et de macaroni dans les oreillers. C'est coucher dans un bâtard de drap d'auberge la majorité des soirs, mouillé quand il fait trop chaud, habillé lorsqu'il fait trop froid. C'est trouver un endroit où coucher en pleine nuit dans des ruelles sombres de Buenos Aires. C'est des bus de nuit qui nous débarquent dans des gares routières à quatre heures du matin. C’est une chaîne sur le portefeuille, une pochette secrète. C'est ne faire confiance à personne et croire aux bonnes choses. C'est suivre son instinct bercé par le vent.
La vie sur la route nous apprend à rester serein au milieu de l'activité. Elle nous fait réaliser que moins l'on possède, moins l'on désire et que la vrai force réside dans l'absence de crainte, et non dans la quantité de chair et de muscle que nous avons dans notre corps**.
-Will.
* On s'en reparle.
**Citations de Gandhi parfois modifiées (c’est concept).


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