Magazine Nouvelles

Circulades Le billet de Nestor

Publié le 09 novembre 2009 par Angèle Paoli
Le billet hebdomadaire de Nestor (5) CIRCULADES
Ph., G.AdC

CIRCULADES


     Proche est le terme. À tes côtés, la nuit des marécages guettant, arrachant du visage soupçonné la clé des bans, l'enclos piétiné, les crinières baies, l'ombre des lances, les pas multipliés...
     Gauche, oscillante fumée où nous goûtons la durée pliée à l'état pur, ce qu'on appellera bonheur plus tard, avant de tâtonner dans l'encre de seiche, de toucher aux brouillards, de se forger des attitudes...
     Ô brèche ouverte dans tes remparts, devinant et colmatant celles de l'oubli, elle qu'on ne parachève qu'une fois, poreuse aux complots, précieusement précaire, scellant les confins que tu guettas, pétrifiés en une seule béatitude...
     Guet à peine, déni, prélude, rangée de tournesols muets, pal, chaleur blanche, puanteur, poussière à chaque pas soulevée... Ce n'est qu'une heure plus tard, ou demain, ou dans un an, à la prochaine saison des pluies ― le temps, ici, ne compte pas ― que viendront s'ébrécher les murmures aux touffes de gentiane ou de genévrier exhalant leurs dorures d'alchimie, trappes ou rejets, miroirs inachevés dans leur germe, mutilés comme dans l'ombre ultime...
     Ne redouter que cela, l'énigmatique rapport de la créature et du guérisseur, sourde voix mêlée à ses échos, grappes voraces, étrave dernière sur laquelle tu vins courber tes gestes, te resserrant, te figeant avant que la pourriture ne vienne noircir l'air, ternir l'image...
     Tout, là-haut, t'obscurcit, baies, vides, murs fauves, vieilles empreintes... Plus jamais tu ne regagneras la rive, dans le cliquetis des bracelets et des joncs, à l'aube où les soupirs se taisent de part et d'autre, trêves dilapidées, louves, scribes, empailleurs, funambules, barbiers, charmeurs de rats, apprentis-bourreaux...
     Sur le quai, l'enfant jetant des pierres dans l'eau croupie : elles sautent, claquent, font deux ou trois ricochets avant de disparaître. POUR TOUJOURS.
     Un cri bref, puis le silence, lente couche de poussière couvrant le sentier, les feuilles que chaleur tord. Ça et là, fragments de murs, palissades, troncs, glaisières oubliées de l'heure qui fut, celle qui n'extirpe ni t'omet, poids sevré des choses que le réel enfin efface...
     Qui te saisit à la gorge ? Qui te cloue au sol ? Qui te poignarde ? N'est-ce pas cela l'avenir, silence coagulé, pénombre cendrée protégée des solitudes et des créances ?
     Tu flamberas, flétriras, oublieras : les pas, les duels, les fers, les espaliers, les fagots, les prunelles, les terreaux affleurant, le dos effrangé, les galets qu'à chaque reculade tu éboulais avec ce cri séparant tes yeux de l'écume, fucus à jamais démis des liens, heures vouées à l'épine, au ressac, à l'ortie...
     Vaine parole qui te venge des chronologies, te répand dans la distance, enrichi de la milice des ténèbres, des fournaises qui te frôlent, toi et tes rugissements, tes dagues, tes voltiges...

André Rougier
D.R. Texte André Rougier


Retour au répertoire de novembre 2009

» Retour Incipit de Terres de femmes

Retour à La Une de Logo Paperblog