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Le sang de notre terre

Publié le 14 novembre 2009 par Araucaria

Elia, dès qu'il le pouvait, allait rejoindre Domenico sur ses terres. L'aîné des Scorta vieillissait doucement, au fil des étés. L'homme dur et renfermé s'était transformé en un être doux au regard bleu, qui n'était pas dénué d'une noble beauté. Il s'était pris de passion pour les oliviers et avait réussi à réaliser son rêve : devenir propriétaire de plusieurs hectares. Il aimait plus que tout contempler ces arbres centenaires, lorsque la chaleur tombait et que le vent de la mer faisait frémir les feuilles. Il ne s'occupait plus que de ses oliviers. Il disait toujours que l'huile d'olive était le salut du Sud. Il regardait le liquide couler lentement des bouteilles et ne pouvait réprimer un sourire d'aise. Lorsque Elia lui rendait visite, il l'invitait toujours à s'asseoir sur la grande terrasse. Il faisait apporter quelques tranches de pain blanc et un flacon d'huile de sa production et ils dégustaient ce nectar avec recueillement : "C'est de l'or, disait l'oncle. Ceux qui disent que nous sommes pauvres n'ont jamais mangé un bout de pain baigné de l'huile de chez nous. c'est comme de croquer dans les collines d'ici. Ca sent la pierre et le soleil. Elle scintille. Elle est belle, épaisse, onctueuse. L'huile d'olive, c'est le sang de notre terre. Et ceux qui nous traitent de culs-terreux n'ont qu'à regarder le sang qui coule en nous. Il est doux et généreux. Parce que c'est ce que nous sommes : des culs-terreux au sang pur. De pauvres bougres à la face ravinée par le soleil, aux mains calleuses, mais au regard droit. Regarde la sécheresse de cette terre tout autour de nous, et savoure la richesse de cette huile. Entre les deux, il y a le travail des hommes. Et elle sent cela aussi, notre huile. La sueur de notre peuple. Les mains calleuses de nos femmes qui ont fait la cueillette. Oui. Et c'est noble. C'est pour cela qu'elle est bonne. Nous sommes peut-être des miséreux et des ignares, mais pour avoir fait de l'huile avec des caillasses, pour avoir fait tant avec si peu, nous serons sauvés. Dieu sait reconnaître l'effort. Et notre huile d'olive plaidera pour nous." Elia ne répondait rien. Mais cette terrasse qui dominait les collines, cette terrasse où aimait s'asseoir son oncle était le seul endroit où il se sentait vivre. Ici, il respirait.

Le soleil des Scorta - Laurent Gaudé - J'ai lu n° 8255 

Les oliviers sur la colline de Cimiez à Nice par marovibar
Photo trouvée sur le net

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