Je ne faisais plus l’amour. Je vivais depuis des mois dans une abstinence que je n’avais pas choisie mais qui s’était imposée d’elle-même depuis que je m’étais mise en tête d’écrire un roman impubliable. Sans donner un sens psychanalytique à ce simple constat, je me bornais à recenser les faits tels que je les vivais, en anthropologue improvisée de ma propre personne. Ecrire ou faire l’amour, voilà où j’en étais arrivée et cette évidence me plongeait petit à petit dans la mélancolie.
Après avoir passé une semaine entière à chercher à rejoindre de manière artificielle le cauchemar qui m’obsédait, j’avais fini par renoncer. L’alcool s’était avéré un piètre remède, ne parvenant qu’à alourdir chacune de mes pensées, plombant mes idées fixes à défaut de les élever. Tout au plus avait-il fait naître une ou deux métaphores, jugées parfaitement grotesques dès lors que j’avais dessoulé. Je mis un terme à cette tentation de me montrer fidèle à la tradition familiale. Des autres drogues plus illicites, je n’osais m’approcher, connaissant ma faiblesse et mon tempérament addict dont je savais maintenant qu’il était inscrit dans mes gènes au même titre que ma peau mate ou mes cheveux noirs d’une détresse qui se passe le relais de génération en génération. Les joints que je fumais ne m’étaient d’aucun secours dans le désir ardant de créer pour ne pas crier, écrire pour ne pas mourir. Ils me laissaient entrevoir de belles images, de jolis paysages mais cela n’allait pas plus loin ; j’étais donc parfaitement démunie et finis par admettre que ce cauchemar, pourtant si net en ma mémoire, n’était qu’une histoire que je me racontais. Une de plus. Rien de moins. Point.
Lorsque je me réveillai, ce matin-là, toujours à la même heure (le corps n’est qu’une horloge), je restais alanguie dans mon lit, un sourire fiché sur mes lèvres humides, encore ivre d’un plaisir dont je ne gardais aucun souvenir, si ce n’est une légère contracture aux cuisses. Je devais être en manque, c’est sûr.
A mon lever, je marquai un arrêt, tête baissée sur ma jambe gauche, le long de laquelle je suivis le parcours d’une traînée blanchâtre qui stoppa son cheminement au rond de mon genou.
L’idée de recueillir cette semence en vue d’une analyse fut aussitôt rejetée. Entretenir une relation inappropriée avec un fantôme hantant un cauchemar métamorphosé ne changerait rien à ce constat terrible de m’ancrer de plein gré dans ma propre folie. Assise au bord du lit, les yeux fixés sur cette coulée de sperme que mon corps expulsait, je m’étonnai de tendre l’index vers la goutte non encore figée avant de la gouter. A cet instant retentit un cri , dont je ne sais au moment où je l’écris d’où il arrivait : « RAOUL ! »
Est-il besoin de préciser que jamais je n’avais croisé la moindre personne portant ce nom démodé? C’est à lui que je devais cette formidable tonicité d’une peau plus douce que jamais, ce Raoul, inconnu au bataillon de mes certitudes. Qui se moquait de moi ? De quel démon étais-je l’objet ? Je cherchai sur ma table de nuit un crayon de papier et notai sur le carnet à spirales les mots qui m’encombraient : terre de bruyère, sperme, Raoul. : Pas de quoi composer un sonnet, raillais-je en moi-même pour me rassurer de cette terrible angoisse que je sentais monter.
J’étais tétanisée à l’idée de trouver la prochaine fois du sang ou peut –être même de la merde, au rythme où la tension s’élevait. J’essayais de réfléchir et me forçais à rationnaliser mais je ne voyais pas à qui confier ces faits. Je ne crois en rien et ne me vois pas rencontrer un marabout de pacotille qui trouvera là l’aubaine d’extorquer une folle. J’en revenais toujours là, à cette folie, elle aussi baladée dans l’histoire de ma généalogie. C’était donc ça ? J’avais du mal à y croire, cependant mais c’était bien la seul explication valable. Cela voulait cependant dire que la folie venait d’ailleurs, d’une contrée encore inexplorée. Qu’elle se greffait sans doute sur les êtres les plus aptes à l’accueillir. Je ne me connaissais cependant pas cette générosité….