17 novembre 1906/Naissance de Mario Soldati

Publié le 17 novembre 2009 par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours


     L e 17 novembre 1906 naît à Turin Mario Soldati.

     La double formation, littéraire et artistique, de Mario Soldati ― études de lettres à l'université de Turin et Institut supérieur des Beaux-Arts de Rome ―, ainsi que son séjour à l'université Columbia à New York, le préparent à une double carrière d'écrivain et de cinéaste.

     De retour en Italie en 1931, Mario Soldati réalise de nombreux scénarios. Mais il s’impose vraiment en 1940 avec Piccolo mondo antico (Petit monde d'autrefois/Le Mariage de minuit) puis, en 1942, avec Malombra. Dans le monde des lettres, après la publication de Salmace, recueil de nouvelles édité en 1929, il faut attendre l'après-guerre pour retrouver l'écrivain avec la publication, en 1941, de La verità sul caso Motta (La Vérité sur l'affaire Motta), L'amico gesuita (L'Ami jésuite, 1943), A cena col commendatore (Le Festin du commandeur, 1950), Le lettere da Capri (Lettres de Capri, 1954), Le due città (Les Deux Villes, 1964).


LETTRES DE CAPRI

     Les Lettres de Capri sont le récit de la double aventure amoureuse d'un couple d'Américains. Harry Brant, fonctionnaire du gouvernement américain et Jane son épouse, mènent à Rome des aventures parallèles. Tandis que Harry tombe amoureux de Dora ― une belle Romaine qui déchaîne en lui une passion charnelle contraire à ses mœurs puritaines ―, Jane tombe amoureuse du bel Aldo. Chacun, épris de son rêve italien, continue de vivre aux côtés de l'autre en espérant ne pas être découvert. Une double confession naît de ces aventures : celle de Jane et celle de Harry.

     Construites sur l'opposition puritanisme (couple américain) et paganisme (couple latin), les Lettres de Capri alternent récit, échanges épistolaires et confession. D'une beauté dense et violente.



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     En tant qu'homme de cinéma, je dois déclarer qu'à première vue le récit de Harry me parut riche d'idées, de traits piquants et même d'éléments dramatiques, mais j'eus aussi l'impression que pour obtenir le financement d'un producteur, fût-il exceptionnellement cultivé et dénué de préjugés, une refonte complète aurait été nécessaire.
     Aussitôt ma lecture achevée, j'écrivis à Harry dans ce sens-là. J'ajoutai que son histoire m'avait impressionné, qu'il devait la finir et m'en envoyer la conclusion au plus vite. Dans quelques mois, je serais de retour à Rome et j'aurais sûrement quelque chose à lui proposer. Nous travaillerions ensemble et nous tirerions de là un sujet de film.
     Non que j'eusse grand espoir d'arriver à tourner un film avec des personnages d'une psychologie si compliquée, si anormale, pour ne pas dire folle. Je comptais simplement réussir à vendre le sujet, étant donné la possibilité d'insérer dans la distribution deux grands acteurs américains, et de faire gagner ainsi quelques millions à Harry.
     Toutefois je ne fis pas allusion, dans ma lettre, à ce programme minimum. Je ne voulais pas le décourager de terminer son récit. Je ne lui dis même rien des contradictions et des absurdités que j'avais cru noter dans son texte et qui me faisaient presque mettre en doute la véracité de cette histoire. Comment était-il possible, par exemple, que sa femme et lui se fussent laissé affoler par ce mystérieux coup de téléphone, au point de partir pour Capri et d'aller faire à don Raphaël cette scène absurde ? D'ailleurs le coup de téléphone lui-même ne me plaisait pas beaucoup. L'individu, d'après Harry, avait prononcé de vagues menaces, mais n'avait pas demandé d'argent. Alors pourquoi toute cette agitation ?
     Quant au personnage (appelons-le ainsi) de don Raphaël, j'étais sûr que Harry et Jane avaient exagéré dans les deux sens : en le jugeant trop diabolique, et ensuite trop saint. La vérité, il fallait la chercher entre les deux. Don Raphaël n'était pas capable du chantage qu'ils avaient craint, mais il n'était pas capable non plus de cette profonde humanité et de cette humilité qui les avaient émus jusqu'à l'enthousiasme. Très probablement don Raphaël, s'étant aperçu qu'il avait affaire à deux déséquilibrés, à deux fous (pouvait-il les voir autrement ?) avait estimé inutile de s'indigner, prudent au contraire de se montrer patient, et sage, en tout cas, de se tirer d'intrigue le plus vite possible, avec quelques bonnes paroles. Les lettres, il ne les avait pas, bien sûr. Mais il avait devant lui deux Américains et, étant donné sa position de maire fraîchement élu, il devait à tout prix effacer en eux jusqu'au plus léger doute quant à son intégrité, pour éviter qu'à l'avenir, par des conversations, ils ne communiquassent leurs soupçons à d'autres. Ce résultat, il l'avait pleinement obtenu par son serment devant le crucifix, par ses larmes, par sa mansuétude et sa douceur.
     Et les lettres ? Où avaient-elles fini par échouer ? Était-il bien vrai que le beau jeune homme ne les avait jamais reçues ? Le coup de téléphone pouvait être un tour de sa façon... Sur ce point là, j'étais moins optimiste que Harry et Jane.
     Et qu'était-il arrivé, entre Harry et Jane ? Pourquoi Harry avait-il quitté Paris et son poste à l'Unesco pour vivre misérablement via Margutta, avec Dorothée ? Ils avaient donc divorcé, en fin de compte ? Harry, quand je l'avais revu, m'avait semblé lié à cette femme pour le reste de ses jours. Il avait l'air d'un homme ruiné, désespéré, d'un homme à la dérive. Que s'était-il donc produit ?

Mario Soldati, Lettres de Capri, Librairie Plon, 1956 ; Le Livre de Poche, 1977, pp. 333, 334, 335. Traduit de l'italien par Paul-Henri Michel.


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