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Les Vanupieds (12)

Publié le 18 novembre 2009 par Plume
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Ils attendirent les parents toute la journée du lendemain. Le soir venu, ils n’étaient toujours pas là. Ils mangèrent ce qu’ils trouvèrent et ce qu’Adam et Alexandre purent chaparder de ci de là. Mais les parents ne rentrèrent pas. France dût se rendre à l’évidence. Alors que le jour baissait, elle réunit ses frères et sœurs autour de la grande table :

«  Le père et la mère sont partis.

- Tu veux dire que… ? »

Adam n’osa poursuivre sur sa pensée. France inclina la tête :

« Ils nous ont abandonnés.

- Ce n’est pas vrai ! Eclata Andréa, furieuse. Ils vont revenir !

- Et nous serons morts de faim entre temps ! Répondit France calmement. Nous devons partir.

- Pour aller où ? Interrogea Alexandre, anxieux.

- Je ne sais pas, murmura France, l’air rêveur tout à coup. Mais loin d’ici. Quitter cette ville où nous mourrons tous de froids si nous ne mourrons pas de faim avant ! Peut-être aller vers la mer ? J’ai entendu les hommes d’armes dans les tavernes. La mer est à l’ouest. Nous marchons vers le soleil couchant et nous la trouvons…

- Ah ! Nous voilà bien ! Ironisa Andréa. La mer ! Ce n’est pas elle qui nous nourrira, figure-toi !

- Nous trouverons de la nourriture en abondance dans les campagnes ! Les forêts sont pleines de fruits et de petits animaux que nous pourrons chasser, les champs de…

- Et où dormirons-nous ? Quel toit nous protégera de la pluie, du vent et de la neige ? Railla Andréa.

- Nous trouverons des abris dans les granges, nous travaillerons dans les cultures pour gagner un peu de sous…

- Travailler ? Rugit Andréa. Jamais ! Moi je ne partirai pas d’ici ! Le père et la mère reviendront et je vais les attendre !

- A ta guise ! Répondit France avec froideur. Mais moi, je n’ai plus envie de sentir la lanière de son fouet dans mon dos, je ne veux plus le regarder battre mes frères et sœurs comme il a battu Alissa, je ne veux pas attendre que sa cruauté finisse par tuer l’un d’entre nous. Alors je vais partir. Je veux voir la mer, les champs de blé. Je veux travailler pour moi. Le père aurait fini par tous nous envoyer à la fabrique et c’est à lui qu’ils auraient donné notre argent, je veux vivre loin de cette ville et de cette maison que je hais. Je veux voir les montagnes, les lacs, les rivières, les vallées dont ils parlent dans les tavernes. Je veux entendre les oiseaux chanter, je veux connaître le pays. Sur la route, nous trouverons toujours quelque chose à manger, alors qu’ici…

- Nous volerons la nourriture ! Coupa Andréa, irritée. C’est bien plus simple, bien plus facile…

- Oui, jusqu’au jour où on t’attrapera, jusqu’au jour où comme pour Allan, on te tirera dessus. Le cimetière est rempli de misérables que l’on a surpris entrain de voler…

- Tu ne me feras pas changer d’avis ! Répliqua Andréa. Tu ne me forceras pas à te suivre. Tu peux partir si ça te chante, moi, ça ne me dérange pas. Tant mieux même ! Ça débarrassera d’une présence que je ne supporte pas !

- Tu es bête et méchante ! Cria Adam, les larmes aux yeux. Moi, je suivrai France car elle a raison. Moi non plus je ne veux plus être battu et voir le père battre mes frères et sœurs. Moi aussi je veux voir la mer. Je ne crains pas de travailler pour gagner quelques sous, je veux partir loin d’ici. Je suivrai France, où qu’elle aille. Et si tu avais un peu d’intelligence, tu ferais la même chose ! »

Andréa haussa les épaules avec dédain. France regardait son frère avec surprise et incrédulité. Il lui sourit tendrement, les larmes aux yeux. Puis courut se jeter à ses pieds et enfouir son visage bouleversé dans sa robe.

« Jamais je ne te quitterai ! Bredouilla-t-il, d’une voix étouffée. Toi, tu es juste et tu sais toujours ce qui est le mieux pour nous ! »

France caressa doucement ses cheveux blonds et ne put contenir l’expression triomphante qui passa furtivement sur ses lèvres.

« Je veux partir aussi ! Dit Alissa. Je ne veux plus être battue. Je veux voir la mer, France ! Je veux partir avec toi ! »

France acquiesça d’un signe de tête et Alissa soupira de soulagement.

« Vous êtes complètement cinglés ! S’écria Andréa, hors d’elle. Tout ce que vous allez trouver, c’est la mort… Et toi, Alexandre ? Tu veux partir aussi ? Tu vas me laisser seule ? Le père et la mère vont revenir, tu sais…

- Ne l’écoute pas ! Coupa Adam. Le père et la mère nous ont abandonnés ! Ils ne reviendront pas ! »

Alexandre, désemparé, ne savait que dire, ni que faire, ni même que penser. Son regard bleuté allait de l’un à l’autre, hésitant, malheureux…

« Je suis habile ! Finit-il par répondre. Je ne peux pas me faire prendre, pas moi, non, pas moi. Et… et je crois aussi que le père et la mère vont revenir. Ils ne peuvent pas nous avoir abandonnés, ce n’est pas possible. Ils savent que nous avons besoin d’eux. Je ne veux pas courir après un rêve. Ton rêve, France. Ici, je suis sûr qu’il y a à manger mais sur les routes ? Quand il pleut, ce toit nous abrite mais sur les routes ? Non… Non, je préfère rester ici. Même si je suis battu, je sais au moins que je ne mourrais pas de faim et de froid. Pardon, France… »

Il l’implora. France paraissait très triste. Elle observait Andréa qui triomphait à son tour et Alexandre qui en appelait à sa compréhension.

« Alors, nous serons séparés, murmura-t-elle à voix basse. Tous ?

- C’est toi qui le veux ! Maugréa Andréa. C’est toi qui pars, que je sache, ce n’est pas nous !

- Alexandre ? » Interrogea France doucement.

Son jeune frère baissa la tête et se mordit nerveusement les lèvres.

« Je reste ! Tant pis si nous sommes séparés ! 

- Voilà quelqu’un de raisonnable ! Gloussa Andréa. Qu’est ce que ça peut faire si nous sommes séparés ? Moi, je ne m’en porterai que mieux, crois-moi ! »

France frémit d’indignation mais ne releva pas. Elle se contenta de secouer la tête, résignée.

« Très bien ! Déclara-t-elle. Nous partirons demain matin en emportant nos couvertures. Bien sur, nous prenons Ann et Abby…

- Comment ça tu prends Ann et Abby ? Il n’en est pas question ! L’agressa Andréa aussitôt. Je garde Ann ! Si tu veux en tuer une c’est ton problème mais tu ne tueras pas les deux ! Je garde Ann ! »

France fronça les sourcils et allait répliquer vertement lorsqu’Adam posa une main apaisante sur son bras.

« Nous avons du chemin à faire, France, dit-il. Ann est petite et fragile. Le père ne la touchera pas avant longtemps si jamais il revenait. Si nous prenons Abby, nous devrons faire très attention à elle. Il faut être lucide. Nous n’arriverons jamais à nous occuper des deux et nous n’avons pas plus de droit sur Ann qu’Andréa. Si elle veut la garder, nous ne pouvons nous y opposer. Nous prenons Abby et nous penserons fort à Ann… France, s’il te plait ? »

L’aînée tremblait de colère et de désespoir tout à la fois. Force lui fut pourtant de reconnaître la pertinence de son analyse. Elle inclina la tête mais laissa peser sur Andréa tout le poids de sa fureur :

«  Tu t’occuperas d’elle, tu as compris ?

- Mais oui, s’impatienta Andréa avec humeur. Mais oui, je m’occuperai d’elle. C’est ma petite sœur, non ? »

France faillit s’étrangler. Le toupet d’Andréa était incroyable. Mais elle ne releva pas, respira profondément et se tourna vers Alexandre qui, terrifié par l’intensité menaçante avec laquelle elle le dévisagea, se tassa sur sa chaise.

« Je vous avertis tous les deux, dit-elle d’une voix à glacer le sang. Je reviendrai un jour. Je vous jure que je reviendrai. Et si jamais il est arrivé malheur à Ann, je saurai vous le faire payer. C’est clair ? »

Alexandre hocha précipitamment la tête.

« Pourquoi veux-tu revenir ? Lança Andréa sur un ton aigre, malgré elle impressionnée par la menace.  C'est pas la peine ! On n'a pas besoin de toi!

- J’ai une promesse à tenir. » Répondit France simplement.

La conversation, ce soir là, s’arrêta là.


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