Tous les mardi, il se mettait un nez rouge, juste pour le plaisir, et il partait faire ses courses au supermarché. Le nez rouge, c’était un rêve d’enfant qu’il avait abandonné sur le bord de la route, comme tant d’autres. Depuis vingt ans, il était inspecteur des impôts et les bouffonneries étaient mal tolérées au bureau.
Il profitait de son nez rouge pour aborder les femmes. Elles riaient volontiers de ses pitreries, sauf la sienne qui lui disait invariablement, d’un ton agacé : « Et tu te trouves drôle Jean Jacques ? » !
C’était un bonimenteur de génie et toutes les femmes avaient droit à ses compliments servis à la louche : les vieilles, les jeunes, les moches, les belles, les maigres, les grosses, les coincées, les pas coincées… il avait une blague pour chacune d’entre elles.
La veille, à la caisse d’Intermarché, il était tombé sur une rabat-joie qui lui avait fait penser à sa femme. Il avait bien essayé de la dérider, comme les autres, mais elle l’avait renvoyé dans les cordes en lui demandant s’il n’avait rien de mieux à faire le mardi à 18 heures. Il avait accusé le coup mais il n’avait pas pu s’empêcher de lui dire :
- Vous, vous devez être prof, ça se voit comme le nez au milieu de la figure !
Elle n’avait rien répondu, mais après avoir tapé son code de carte bleue, elle lui répondit :
- Et vous inspecteur des impôts !
C’est là qu’il la reconnut : une collègue de lycée de sa femme qui avait dû venir dîner une ou deux fois chez eux. Quand la caissière lui adressa la parole il sursauta, distrait ; il imaginait déjà la scène que sa femme lui ferait…