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L'Eglise catholique et l'euthanasie (1)

Publié le 19 novembre 2009 par Hermas
L’euthanasie, liée notamment, dans la mémoire historique, à l'idéologie nazie, pose des problèmes extrêmement graves. Les débats qui l’entourent, qui ne sont d’ailleurs pas à la mesure des enjeux, jouent toujours sur l’ambiguïté. Une ambiguïté qui tient sans doute autant à l’absence d’idées justes et de principes qu’à des stratégies mûries et intéressées. Essayons donc d’y voir un peu plus clair. Pour ce faire, commençons par le commencement : la définition du terme. Le Dictionnaire de l’Académie française, censé apporter ici comme ailleurs une réponse précise, est à bien des égards révélateur des confusions ambiantes.

   Le mot euthanasie, commence-t-il, est emprunté du grec tardif euthanasia et signifie une « mort douce et facile ». Nous voici d’emblée dans des résonances familières à nos oreilles modernes : facilité, douceur. Le registre sera exploité pour donner à entendre que l’euthanasie est un acte de bienfaisance, à la hauteur des attentes d’une société tournée vers la satisfaction des besoins et des plaisirs. On observera cependant ceci, qui est loin d’être un détail : si le discours sur l’euthanasie s’attache à la douceur, la facilité, la pitié, il ne s’attache pas à la mort, à laquelle il ne donne ni contenu ni sens. C’est pourtant là l’essentiel et le Dictionnaire, lui, ne peut qu’y venir.

En effet, il poursuit : « Action destinée à donner la mort à un malade incurable qui demande ou a demandé que l'on abrège ses souffrances ou sa déchéance physiologique. Euthanasie active, administration de substances hâtant par elles-mêmes le décès. Euthanasie passive, suspension du traitement ou de la réanimation. »

Nous voici alors, soudain, face à une réalité autrement plus brutale. Il s’agit bien d’une « action destinée à donner la mort ». Autrement dit à tuer, et à tuer intentionnellement. L’euthanasie est donc un homicide volontaire. Dans la mesure où il est volontaire, cet acte est objectivement susceptible de recevoir une qualification morale et implique la responsabilité de son auteur. Cette qualification et cette responsabilité seront à la mesure, à la fois de la qualité de celui qui commet l’acte, et de l’extrême vulnérabilité de celui qui le subit. On ne saurait trop insister, en particulier, sur le fait que l’euthanasie administrée par un médecin revêt une gravité particulière. En effet, elle remet radicalement en cause la relation de confiance établie depuis des siècles entre le malade et le médecin, entre les mains duquel on se remet, premièrement et essentiellement, parce qu’il est un ministre de la vie.

Jusque-là, tout paraît très simple, et l'est de fait, tant au regard du droit pénal que du cinquième commandement du Décalogue : « Personne en aucune circonstance ne peut revendiquer pour soi le droit de détruire directement un être humain innocent » (1), ou de rechercher cet effet, indirectement, par une abstention volontaire (2). « Le meurtrier et ceux qui coopèrent volontairement au meurtre commettent un péché qui crie vengeance au ciel (cf. Gn 4, 10) » (3). Cette règle n’a rien de spécifiquement religieux. Elle est partagée par toutes les sagesses humaines, et c’est pourquoi le Catéchisme ici cité précise que c’est un acte qui viole la “règle d’or”, c'est-à-dire ce principe commun à toute l’humanité selon lequel il faut faire le bien et éviter le mal et ne pas faire à autrui ce qu’on ne voudrait pas qu’on l’on nous fît à nous-mêmes.

Le principe s’applique dès lors immédiatement à l’euthanasie : « Quels qu’en soient les motifs et les moyens, l’euthanasie directe consiste à mettre fin à la vie de personnes handicapées, malades ou mourantes. Elle est moralement irrecevable. Ainsi une action ou une omission qui, de soi ou dans l’intention, donne la mort afin de supprimer la douleur, constitue un meurtre gravement contraire à la dignité de la personne humaine et au respect du Dieu vivant, son Créateur. L’erreur de jugement dans laquelle on peut être tombé de bonne foi, ne change pas la nature de cet acte meurtrier, toujours à proscrire et à exclure » (4).

Dans sa Déclaration “iura et bona, la Congrégation pour la doctrine de la foi avait déjà précisé, en 1980 : « Rien ni personne ne peut autoriser que l’on donne la mort à un être humain innocent, fœtus ou embryon, enfant ou adulte, vieillard, malade incurable ou agonisant. Personne ne peut demander ce geste homicide pour soi ou pour un autre confié à sa responsabilité, ni même y consentir, explicitement ou non. Aucune autorité ne peut légitimement l’imposer, ni même l’autoriser. Il y a là violation d’une loi divine, offense à la dignité de la personne humaine, crime contre la vie, attentat contre l’humanité » (5).

La doctrine catholique est donc parfaitement claire, qui éclaire et oblige la conscience de chaque fidèle. Elle constitue ainsi, sur cette question, un point de repère nécessaire et absolu dans l’appréciation des programmes proposés par les candidats à l’élection présidentielle .

Le Conseil de l’Europe, dans sa recommandation 1419, adoptée le 25 juin 1999, relative à la « Protection des droits de l’homme et de la dignité des malades incurables et des mourants », a indiqué que « l’obligation de respecter et de protéger la dignité d’un malade incurable ou d’un mourant est la conséquence naturelle de la dignité inviolable inhérente à l’être humain à tous les stades de la vie » (n° 4). « L’être humain, qui commence sa vie dans un état de faiblesse et de dépendance, a besoin de protection et de soutien lorsqu’il se trouve à l’article de la mort » (n° 6).

En conséquence, a-t-il ajouté, « il faut (…) bannir toute décision qui reposerait sur des jugements de valeur générale en vigueur dans la société », c'est-à-dire les modes du jour, « et veiller à ce qu’en cas de doute la décision soit toujours en faveur de la vie et de la prolongation de la vie » (n° 9, b, IV). La recommandation s’achève par une invitation adressée à tous les Etats membres à protéger la dignité et les droits de ces malades, notamment « en maintenant l’interdiction absolue de mettre intentionnellement fin à la vie des malades incurables et des mourants », dès lors que l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose que « la mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement », que « le désir de mourir exprimé par un malade incurable ou un mourant ne peut jamais constituer un fondement juridique à sa mort de la main d’un tiers » et que « le désir de mourir exprimé par un malade incurable ou un mourant ne peut en soi servir de justification légale à l’exécution d’actions destinées à entraîner la mort » (n. 9, c).

Tels sont les principes premiers de la question de l’euthanasie, sur lesquels il est heureux de constater l’accord de la doctrine catholique et des orientations du Conseil de l’Europe, dont les candidats n’ont cependant cure, pas plus que des principes énoncés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Signe des temps, dira-t-on. Peut-être. Mais signe éloquent. Pierre Gabarra
Reprise d'un article publié sur Hermas.info le 14 mars 2007
(A suivre)

_______________
(1) Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 2258. On ne saurait trop recommander aux personnes intéressées la lecture attentive de ces documents.

(2)
Op. cit. n. 2269.


(3)
Op. cit. n. 2268.


(4)
Op. cit. n. 2277

(5) Congrégation pour la doctrine de la foi, Déclaration “iura et bona” sur l’euthanasie et sur l’observation d’un usage thérapeutique, droit et proportionné des médicaments analgésiques, 5 mai 1980, II.

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