Monnaie de cendre

Publié le 20 novembre 2009 par Lephauste

Elle m'a tendu un petit bout de papier plié en quatre : Appelez moi un de ces jours, non ne m'appelez plus, plus jamais ! Puis elle a tourné les talons et du pas décidé de qui s'en retournait à sa second life, elle a tourné le coin de la rue comme on tourne la page d'un mauvais roman latino-américain. J'ai regardé le  bout de papier, soigneusement plié et j'ai attendu que le petit personnage dont les jambes imitaient l'immobilité rigide de  la marche rezolu, verdissent comme celles d'un cadavre autorisé à traverser les clous. Je traversais le boulevard en évitant tout ce qui de près ou de loin pouvait ressembler à ce rien dont les villes font leurs choux gras, les porteurs de paquets enrubannés. Le deuil ! m'avait-elle dit. Le deuil voyez vous, est chose trop, bien trop humaine pour pouvoir le partager avec vous. Mais vous tuer, j'avoue me tente assez. Vous faire disparaître pour jouir en son plein de cet état de veuve toute neuve, me tente oui !

Je lui avait donné des lettres, et pas n'importe lesquelles, des lettres qui semblaient ne pas manquer de noblesse, et qu'elle acceptait, incrédule. Comme le sont les yeux d'un expert-comptable lisant un poème d'Alain Borne. Elle les recevait, me faisait part du fait qu'elle y répondrait sous peu et n'y répondait jamais mais recevait les suivantes et s'empressait de m'appeler pour me faire part du fait qu'elle ne tarderait pas à y répondre, mais n'y répondait jamais. Écrire à une archiviste, me direz-vous c'est un peu comme s'adresser à un rayonnage de bibliothèque. Quand ça ne s'achève pas sous la poussière de la vanité humaine, ça se finit à la corbeille, d'un clic gauche.

Lui avais-je dit que je  tenais pas à ce qu'elle quitte son "marri" pour se joindre à ma marche ? Je ne me souviens plus. Ce dont je me rappelle c'est que mes mots et mes gestes avaient poussé son orgueil au delà des limites du raisonnable. Je l'avais rendu coquette comme une poule élevée en plein air. Ce qu'elle n'était pas puisqu'elle s'était élevée dans le réduit des années 80, ces années où la défonce et la fête avaient fait prendre pour géniales toutes les épaves hépatiques et narcissiques. Je l'avais rendue hautaine, ce qu'il ne faut jamais faire si l'on veut, sinon être aimé, on ne l'est jamais rassurons nous, du moins avoir la paix, la paix du coeur sans laquelle on est plus rien. Plus rien, ce que j'étais devenu, pour la seconde fois de mon existence fantomatique. Ectoplasme amoureux, franchement ça manque d'épaisseur.

Puis un jour, je l'ai retrouvé le petit bout de papier, entre les pages d'un livre qu'elle m'avait offert. Les femmes quand ça apprend que vous lisez, naturellement ça vous offre un livre, ça vous dit même que ça l'a lu. Et quand vous leur demandez de quoi au juste ça parle, elles vous répondent en général qu'elles ne se souviennent plus et se planquent vite fait à l'abri d'un de ces sourires idiots dont vous auriez bien tort de croire qu'il vous est destiné. Ces sourire là sont de manufacture maternelle. Elles se les repassent de génération en génération. Le livre je l'ai encore, c'était un mode d'emploi pour ce que devait devenir l'histoire si elle ne s'était pas transformée par la magie du deuil en une anecdote de plus. Une anecdote amoureuse. Le titre du livre ? Tours et détours de la pauvre fille, je crois. Quelque chose de cet ordre là en tous cas.

Je l'ai ouvert le petit papier et des plis cassant sont tombées quelques cendres échappées d'une urne. Cette urne qu'elle doit encore trimballer comme la coupe que l'on décerne en général au vainqueur de l'étape. Tiens mais c'est la veuve ! Et sans attendre que le petit bonhomme passe au vert des cadavres, on change de trottoir. RIP ... tes galoches!